THE CASE OF THE SCORPION'S TAIL (1971)
Sergio Martino
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le terme « giallo », qui signifie littéralement «
jaune » en italien, nous rapporte directement aux couvertures
d'une série de romans policiers populaire des années 30
aux années 60; ce n'est qu'à partir de 1963 que le genre
se fera cinématographique, grâce entres autres à
La Fille qui en savait trop puis à Six femmes pour
l'assassin de Mario Bava. Néanmoins, c'est au cours des
années 70 que le giallo frappera le zénith de son rayonnement
commercial. Des réalisateurs tels qu'Argento, Fulci et Umberto
Lenzi jetteront alors leur dévolu sur cet hybride entre l'horreur
et le drame policier, aussi codifié que le western spaghetti,
pour en faire l'uns des piliers de l'industrie italienne chancelante.
Ses meurtriers tout de noir vêtus pointeront ainsi leur lame brillante
vers d'innocentes victimes tout au long de la décennie, soit
jusqu'à ce que la mode de ces polars mêlant le sadisme
à l'érotisme s'efface pour faire place à la science-fiction
post-apocalyptique. Sergio Martino, frère du producteur Luciano
Martino, demeure l'un des cinéastes les plus prolifiques de cette
période. Son film le plus célèbre, le violent Torso,
fait d'ailleurs l'objet d'un culte certain chez les amateurs de cinéma
gore informés.
Dès 1971, Martino va tourner à raison d'à peu près
deux par année des gialli somme toute bien ficelés et
franchement divertissants. Son style, moins grand-guignolesque que celui
d'Argento, demeure marqué par les excès propres à
cette époque: zoom insistants, trame sonore éclectique
et romance à l'eau de rose racoleuse. Mais, à la fois
grâce et malgré ce franc côté kitsch, ses
meilleurs films méritent l'attention de quiconque s'intéresse
un tant soit peu au cinéma de genre italien de cette décennie.
Martino n'est certainement pas un « auteur » cinématographique
au sens noble du terme; ses films, L'étrange vice de madame
Ward en tête, assument pleinement leur caractère d'exploitation
et misent essentiellement sur les pulsions juvéniles que sont
le sexe et la violence pour étancher les plus basses attentes
de leur public. Plutôt, Martino est un apte technicien qui, à
l'instar d'un Seijun Suzuki par exemple, sait tirer son épingle
du jeu malgré les conventions au sein desquelles il se doit de
manoeuvrer.
Trash sans gène, son oeuvre offre en vérité une
caricature parfaite des ficelles du cinéma populaire. En ce sens,
La queue du scorpion (La coda dello scorpione) est une exacerbation
rondement menée des éléments qui feront du giallo
un genre si prisé; sur fond d'exotisme de carte postale, Martino
sert à son spectateur une intrigue prenante dont les revirements
sont aussi amusants qu'inattendus. Les scènes de meurtres se
déploient au gré d'une dynamique grandiloquente qui détonne
de l'ensemble, à l'instar des chansons d'une comédie musicale.
Au niveau narratif, il emprunte ici l'un de ses coups de théâtre
au Psycho d'Hitchcock; sa caméra s'attache ainsi à un
personnage puis, assez subitement, le fait tomber sous les coups de
son assassin. La recette est simple, un peu débile, mais fonctionne
malgré tout à merveille. Mais l'histoire n'est ici que
prétexte, MacGuffin permettant à Martino d'étayer
son goût pour les excentricités formelles.
Ainsi, il importe peu de savoir que Peter Linch (l'inévitable
George Hilton) est chargé par une compagnie d'assurances d'enquêter
sur les circonstances entourant la mort d'un riche entrepreneur italien
ou que la femme de celui-ci est harcelée par une maîtresse
qui veut toucher sa part du magot. Les protagonistes, ici, ne sont qu'assassins
potentiels et victimes en devenir. Ce ne sont plus que des pantins dans
un délire paranoïaque où la menace persiste. Dans
un style vif qui n'est pas exempt de fautes - notamment quelques faux-raccords
évidents - Sergio Martino sait mettre la réalité
en image sous un jour plutôt glauque. Le plan est tout de même
matière d'expression: il déforme l'architecture pour accentuer
un sentiment d'oppression chez le spectateur, illustre les conflits
du récit par une disposition évocatrice des éléments.
Il ne s'agit en rien d'une réalisation magistrale, mais elle
tient malgré tout la route.
Il faut dire que, bien qu'il se fasse moins ouvertement bizarre que
dans L'étrange vice de madame Ward, Martino ne retient
aucun coup. La queue du scorpion s'avère en ce sens
un thriller italien tout à fait typique, tant par l'intensité
de ses manifestations violentes que par son étrange obsession
pour le style à l'état pur. Parmi les premiers gialli
produits, La queue du scorpion n'est peut-être pas le
plus unique; malgré tout, sa trahison finale instaure un climat
de fatalisme évocateurs. Les hommes, aveuglés par leur
cupidité et torturés par leur nature sadique, y semblent
condamnés à s'entre-tuer pour l'éternité.
Cette certitude est d'ailleurs la principale trame thématique
d'une carrière qui allait, par la suite, être principalement
tracée par le passage successif des modes cinématographiques.
Version française : La Queue du scorpion
Version originale : La Coda dello scorpione
Scénario : Ernesto Gastaldi, Eduardo Manzanos Brochero,
Sauro Scavolini
Distribution : George Hilton, Anita Strindberg, Alberto de Mendoza,
Ida Galli
Durée : 90 minutes
Origine : Italie, Espagne
Publiée le : 4 Avril 2007
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