CADAVRES (2009)
Érik Canuel
Par Jean-François Vandeuren
Le réalisateur Érik Canuel constitue un cas tout de même
assez particulier dans le paysage actuel d’un cinéma québécois
qui se permet rarement de lâcher son fou, du moins à grande
échelle. Pour le meilleur et pour le pire, la passion du cinéaste
pour les genres marginaux lui aura permis de sortir du cadre traditionnel
du drame et de la comédie pour offrir au public une alternative
qui se doit d’être exploitée plus souvent et d’être
prise un peu plus au sérieux, comme en témoigne d’ailleurs
le succès retentissant que connut le pourtant fort discutable
Bon Cop, Bad Cop de 2006. Il faut dire que le parcours de Canuel
ressemble un peu à celui d’un mercenaire, lui qui est prêt
à se coller à n’importe quelle production - du drame
d’époque au thriller policier - en n’ayant pour maxime
que le bon vieux « shoot first, ask questions later »,
ou si vous préférez : « filmons d’abord, nous
questionnerons la pertinence de nos images plus tard, beaucoup plus
tard ». En ce sens, cet étrange Cadavres se voulait
un scénario de rêve pour un cinéaste dont l’attention
a toujours été portée beaucoup plus vers le style
que la substance. Un récit d’une désinvolture crasse
qui lui permettrait de faire à peu près tout ce qu’il
veut derrière la caméra et de développer diverses
idées d’un franc mauvais goût tout en s’assurant
que le projet demeure un risque calculé aux yeux de ses producteurs.
Et puis de toute façon, on s’en fout bien du résultat.
L’important, c’est de s’amuser! Mais présenter
un film sans la moindre parcelle de prétention en disant n’avoir
agi que dans le but de surprendre et de divertir les spectateurs peut-il
réellement justifier, voire excuser, n’importe quoi?
C’est du moins ce que semble vouloir affirmer le cinéaste
québécois en début de parcours, et force est d’admettre
que certains de ses élans auraient pu facilement lui donner raison.
Cette histoire aussi grotesque qu’abracadabrante débute
en soi lorsque Raymond Marchildon (Patrick Huard) décide d’aider
sa pauvre mère (Sylvie Boucher) à en finir alors qu’ils
circulent tous deux ivres morts sur une petite route de campagne. N’ayant
plus toute sa tête, Raymond larguera la défunte dans un
fossé à proximité avant de prendre la fuite et
de contacter sa soeur Angèle (Julie Le Breton), qui avait quitté
depuis longtemps ce coin perdu pour s’épanouir à
la télévision en tant qu’actrice de bas étage.
Mais lorsque les deux frangins voudront rapatrier le corps de leur mère,
ils récupéreront plutôt celui du membre d’une
organisation criminelle qui, comme par hasard, se retrouva au même
endroit au même moment. Entre la carrière en péril
d’Angèle et les cadavres qui s’empileront à
un rythme ridicule sous la demeure en décrépitude des
Marchildon renaîtra une relation incestueuse qui redonnera espoir
à Raymond, lui qui n’avait trouvé jusqu’alors
aucun sens à sa vie. Mais si la comédie est un genre qui
se doit d’être pris extrêmement au sérieux
par ses artisans, il en va de même pour ce type de projet hétéroclite
dont la facture peut s’avérer aussi jouissive que répugnante.
Et c’est précisément à ce niveau que Canuel
et le scénariste Benoît Guichard se retrouve un peu dans
l’impasse avec cette adaptation libre du roman de François
Barcelo. Car bien qu’il tente de livrer un produit résolument
ordurier, le duo devait tout de même jouer de prudence et tenir
compte du fait qu’il s’adresse avant tout à un large
public en s’assurant que celui-ci se retrouve toujours en terrain
connu.
Une contrainte qui se traduira dans ce cas-ci par un manque total d’audace
et d'imagination dans le traitement du scénario et de la mise
en scène. De ce fait, l’univers granguignolesque et les
personnages on ne peut plus vulgaires et caricaturaux avec lesquels
Guichard et Canuel tenteront de nous familiariser auront évidemment
tout pour nous rebuter au premier abord, mais ils sembleront néanmoins
annonciateurs d’un spectacle farfelu qui aurait pu finir par faire
des petits au coeur d’un cinéma aussi timide et renfermé.
Déjà reconnu pour son approche criarde et tape-à-l’oeil,
le Québécois aura visiblement pris les bouchées
doubles cette fois-ci pour tenter de faire de Cadavres son
oeuvre la plus réussie à ce jour. Et le cinéaste
nous réserve bien ici quelques-unes des envolées les plus
inspirées de sa carrière lorsqu’il se montre sous
un jour un peu plus serein et raisonnable, tirant alors le maximum de
l’inégale direction photo de Bernard Couture et des allures
de bandes dessinées caractérisant l’ensemble des
éléments formant ce microcosme déglingué.
Le problème toutefois est que Canuel, à titre de réalisateur,
n’a toujours pas acquis cette maturité qui lui permettrait
non seulement de faire des choix esthétiques et scénaristiques
un peu plus judicieux, et ce, sans nécessairement tomber dans
l’autocensure, mais aussi d’imposer un style dont il serait
véritablement l’auteur. Si bien que le présent effort
devient vite sans intérêt alors que le réalisateur
ne se contente d’étoffer son emballage trash préfabriqué
en reprenant ce que d’autres avaient déjà fait avant
lui, telle l’utilisation d’une musique carnavalesque - qui
semble être devenue essentielle à ce genre de récit
– et d’une pléthore d’effets de styles aussi
inutiles que grossiers rappelant tantôt le vidéoclip, tantôt
le cinéma de Caro et Jeunet, la finesse et la créativité
en moins.
La particularité première du cinéma d’Érik
Canuel est qu’il est en soi dépourvu de toute caractéristique,
ou plutôt de toute identité. Passé maître
dans l’art du recyclage, ce dernier ne cherche en bout de ligne
qu’à recréer ce qui s’est déjà
fait ailleurs, et surtout ce qui semble être à la mode
par les temps qui courent dans le domaine des arts visuels. Le tout
sans chercher à ajouter le grain de sel qui lui permettrait réellement
de se distinguer de ses nombreuses sources d’inspirations, toutes
facilement identifiables, d’ailleurs. Il en va de même pour
l’essence de ses productions qui semblent toujours beaucoup plus
intéressés par ce qui se passe chez nos voisins du Sud
plutôt qu’au Québec, fascination qu'il démontre
notamment de par ses constantes allusions à tout ce qui touche
de près ou de loin à la culture des armes à feu.
Cadavres se veut ainsi un film fade qui trouvera sa raison
d’être non pas auprès du public, mais plutôt
auprès de sa distribution, qui aura visiblement pris un malin
plaisir à prendre place à l’intérieur de
cet étrange ovni que nous n’avons pas encore l’habitude
de voir dans les parages. Il faut dire qu’il s’agissait
tout de même d’un pari risqué que de tenter de rendre
le public sympathique à une histoire d’amour aussi tordue
et amorale tout en abordant au passage une série de thèmes
tous plus délicats et controversés les uns que les autres.
Mais malgré tous les efforts déployés par ses deux
auteurs, Cadavres ne tente finalement que d’être
sale et repoussant que pour le plaisir de l’être, se prélassant
mollement dans une avalanche de gags puérils qui ne tiennent
rarement la route ainsi que dans un nombre affligeants d’incohérences
visuelles et narratives qui s'avèrent souvent assez gênantes.
Version française : -
Scénario :
Benoît Guichard, François Barcelo
(roman)
Distribution :
Patrick Huard, Julie Le Breton, Sylvie Boucher,
Christian Bégin
Durée :
117minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
20 Février 2009