THE CABINET OF DR. CALIGARI (1919)
Robert Wiene
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Plusieurs seront tentés par l'idée d'interpréter
Le Cabinet du Dr. Caligari comme étant une vision prophétique
du délire fasciste à venir pour l'Allemagne. Quelle oeuvre
d'art allemande de l'entre-guerre n'en a pas le potentiel? Mais malgré
les sombres connotations de cette fable lugubre sur la folie d'un homme
obsédé par l'idée de ressusciter le passé,
c'est surtout à titre de classique clé de l'expressionnisme
allemand que l'on se souviendra du Cabinet du Dr. Caligari.
Si le film de Wiene a marqué l'imaginaire collectif et secoué
la toute-puissante industrie hollywoodienne de l'âge d'or à
sa sortie en 1919, c'est surtout grâce à ses vertus esthétiques
inoubliables. En effet, ce splendide Cabinet aura ébranlé
même l'Amérique protectionniste de l'époque grâce
à sa verve visuelle inimitable dont l'influence se ressent encore
aujourd'hui de manière évidente sur l'oeuvre de Tim Burton
ou encore des films néo-baroques de Werner Herzog.
En fait, c'est un travail de scénographie ahurissant qui demeure
le point fort de ce prototype du cinéma d'horreur. Un mélange
d'abstraction torturée et d'influences gothiques qui aura inspiré
tant Dario Argento que Marilyn Manson mais demeure pourtant à
ce jour une matérialisation quasi inégalée des
dédales de la folie et de la paranoïa. S'il ne s'avère
pas l'égal de la légendaire première moitié
du Faust de Murnau et bien qu'il fasse pâle figure au
niveau des réflexions qu'il pose lorsque comparé au chef-d'oeuvre
rétro-futuriste de Fritz Lang Métropolis, Le
Cabinet du Dr. Caligari demeure probablement le représentant
le plus connu de cette fameuse vague expressionniste allemande qui perdure
jusqu'à plus ou moins 1930. Après tout, le film de Wiene
demeure une première en son genre. Certains citeront certes Le
Golem de Paul Wegener comme une influence directe sur le célèbre
Caligari.
Toutefois, c'est ce Cabinet qui établit les grandes
lignes de l'école stylistique en question: des éclairages
fortement contrastés, des décors peints à la géométrie
cauchemardesque, des interprétations volontairement caricaturales
ainsi qu'une sensibilité onirique remarquable. Si le fameux Dr.
Caligari s'avère une figure monstrueuse à souhait, c'est
sans doute le somnambule Cesare, père d'Edward Scissorhands et
prédécesseur de Nosferatu avec lequel il partage ses traits
vampiriques, qui vole la vedette avec sa démarche désincarnée
de zombie. Victime d'être une menace malgré lui, c'est
le monstre expressionniste par excellence. Il est impuissant, sans mauvaises
intentions, mais sinistre et dangereux.
Dès lors, il devient à la fois l'objet de notre pitié
et de notre crainte. Un maitre manipulateur se cache derrière
ses méfaits, mais cette menace qu'il représente demeure
bien réelle. Le climat de l'ensemble est glauque et morbide voire
même halluciné comme le souligne ces fréquents changements
de teinte qui viennent ponctuer le film. Les rues sont des labyrinthes
tortueux et les foires publiques ces délires d'absinthe carnavalesques
que l'on crée en écoutant Tom Waits. Sans être l'apogée
du mouvement expressionniste, ce Cabinet en établit
avec force l'esthétique et les lubies thématiques.
Comme bien des classiques du cinéma primitif, c'est surtout au
niveau du scénario que Le Cabinet du Dr. Caligari révèle
son âge. Cette trame narrative simpliste, exploitée par
la suite avec autrement plus de richesse, demeure un peu limitée
selon les standards d'aujourd'hui. Reste l'abondance de symboles dont
regorge ce paysage abstrait déroutant et envoutant pour soutenir
le tableau expressionniste de génie qu'ont peint Wiene et son
équipe. En fait, Le Cabinet du Dr. Caligari est un chef-d'oeuvre
d'art visuel qui a aussi dans ses temps libres marqué l'histoire
du cinéma. À une époque où la compétition
entre productions hollywoodiennes se limitait à savoir qui aurait
le décor le plus démesurément grand, Le Cabinet
du Dr. Caligari aura rappelé à tous l'importance
de l'originalité et de l'imagination. Encore aujourd'hui, le
film de Wiene brille dans ces départements et envoute là
où les productions épiques auxquelles il se mesurait nous
endorment malgré leur mégalomanie luxuriante.
Version française :
Le Cabinet du Dr. Caligari
Version originale :
Das Kabinett des Doktor Caligari
Scénario :
Hans Janowitz, Carl Mayer
Distribution :
Werner Krauss, Conrad Veidt, Friedrich Feher, Lil
Dagover
Durée :
52 minutes / 71 minutes
Origine :
Allemagne
Publiée le :
20 Septembre 2005