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BUBBLE (2005)
Steven Soderbergh

Par Jean-François Vandeuren

Bubble est le premier d’une série de six films que Steven Soderbergh s’engagea à réaliser pour le compte du studio HDNet. Le processus de mise en marché de cette série est d’ailleurs assez particulière : chaque effort sera lancé simultanément en salles, en format DVD et à la télévision payante. On ne connaît évidemment pas pour l’instant l’incidence d'une telle initiative sur la distribution du cinéma à court ou à long terme. Difficile de le savoir, surtout à une époque où l’écart entre la sortie en salles et l’arrivée d’un film sur les tablettes des clubs vidéos est de plus en plus restreint. La prémisse de Bubble nous transporte dans une petite ville américaine tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Nous sommes alors introduits à Kyle et Martha, travaillant tout deux pour une usine de fabrication de poupées. Pour accélérer la production de l’entreprise, Rose, une jeune mère monoparentale, est engagée. Après une soirée passée en compagnie de Kyle pendant que Martha gardait la fille de Rose, cette dernière est retrouvée morte, le lendemain, à son domicile.

Soderbergh renoue ici avec la scénariste Coleman Hough, celle qui signa en 2002 le scénario de son contesté, mais tout de même fort substantiel, Full Frontal. Bubble prend donc les allures d’une chronique où le duo effectue au départ le portrait routinier d’une localité où, sans faire de vagues, un événement viendra chambouler le quotidien limitatif de certains membres de la communauté. Hough effectua d’ailleurs un travail assez remarquable en ce qui a trait à la façon dont le film dépeint les diverses répercussions de ce drame sur les principaux personnages de son récit. Avec une retenue saisissante, Bubble explore parallèlement cet état de survie et l’obligation du travail pour joindre les deux bouts tout en s’intéressant plus précisément aux liens qui unissent ces travailleurs. Mais plutôt que de profiter de l’occasion pour en tirer un maximum d’effets dramatiques, le film esquisse cette camaraderie en plus des sentiments refoulés et autres frustrations toutes simples qui en découlent. Le débordement de ces derniers peut parfois entraîner des conséquences démesurées dans de telles circonstances. La simplicité de la mise en scène s’avère dans ce cas-ci très appropriée, mais il serait important de savoir la prendre en un tout plutôt que de constamment s’attarder à son fonctionnement dans l’immédiat.

Aucun artifice ne se dégage donc de ce scénario se contentant de ramener les choses à ce qu’elles sont vraiment. C’est également le cas pour ce qui est du jeu des comédiens. Après avoir dirigé les stars les plus en vue d’Hollywood, Soderbergh effectua un virage à 180 degrés et fit appel à de parfaits inconnus. Ce sont en effet de simples habitants de la ville où Bubble fut tourné qui furent engagés pour donner vie au film. La scénariste s’est d’ailleurs inspirée de leurs expériences personnelles et de leurs personnalités pour ajouter ou modifier certaines séquences et ainsi conférer à l’œuvre un caractère plus réaliste. Le jeu des trois principaux acteurs se veut d’ailleurs d’un naturel stupéfiant, en particulier celui de Debbie Doebereiner qui est digne des mentions les plus élogieuses. Mais l’effort laisse tout de même la place à un côté plus stylistique utilisé pour mettre en valeur le côté morbide d’un emploi que la banalité aura progressivement effacé. Ce point est principalement mis à profit lors des scènes se déroulant à l’usine où Soderbergh réussit à évacuer toute cette fausse magie que l’on pourrait associer à un tel objet suite à sa mise en marché.

Nous n’avons évidemment pas rendez-vous avec le Steven Soderbergh des grandes occasions, mais nous reconnaissons néanmoins plusieurs traits de son style caméléon. Son approche, principalement formée de plans fixes, forme une mise en image minimaliste au possible, autant dans ses cadrages qu’au niveau du montage. Celle-ci nous plonge alors tête première dans le quotidien des personnages dont le caractère répétitif est clairement défini. Le film n'utilise d'autant plus que les élans acoustiques singuliers de Robert Pollard en guise de trame sonore, lesquels collent parfaitement à l’ensemble. Soderbergh et Hough accordent également une attention particulière aux comportements et aux détails de la vie de leurs protagonistes sans qu’ils ne soient soulignés à outrance. C’est pourtant cette modestie qui finit par conférer à l’œuvre la force nécessaire pour rendre inconfortable et souvent lourde le climat d’étrangeté pouvant se dégager du plus banal des quotidiens.

Pour Steven Soderbergh, si Bubble est l’épisode le plus étrange de sa série en devenir: le mieux. Sans être l’effort le plus créatif de ce dernier à ce jour, Bubble demeure une entrée courageuse dans la filmographie d’un réalisateur si bien ancré dans le paysage hollywoodien. Évidemment, ce n’est pas tout le monde qui y trouvera son compte. L’effort s’affiche malgré tout sous une facture qui saura susciter de vives réactions et ainsi apporter une certaine visibilité à l’entreprise. Il faut dire également que les prochains films n’auront vraisemblablement rien en commun. Peut-être montreront-ils ce désir de faire le portrait d’une Amérique de fond de cour que l’on a tendance à oublier, d’en embrasser le quotidien tout en y développant une histoire insolite. En ce sens, Bubble est un premier pas dans la bonne direction pour Soderbergh. Surtout que connaissant le tempérament créateur du cinéaste, on peut s’attendre à une approche esthétique complètement différente pour chacune de ses six collaborations avec HDNet.




Version française : -
Scénario : Coleman Hough
Distribution : Dustin James Ashley, Misty Dawn Wilkins, Debbie Doebereiner
Durée : 73 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 23 Février 2006