LA BRUNANTE (2007)
Fernand Dansereau
Par Mathieu Li-Goyette
«Accepter de vivre» n’est pas le genre de dicton qui
se fraie souvent un chemin jusqu’à nos oreilles. Pourtant,
c’est d’accepter de tourner qu’aura poussé
le cinéaste Fernand Dansereau, quasiment absent de la mise en
scène de fiction depuis plus de 40 ans à concevoir la
suite de son court-métrage de 28 minutes réalisé
en 1968. Ça n’est pas le temps des romans présentait
la jeune Monique Mercure entichée de ses 5 enfants dans leur
maison de campagne à la suite de sa séparation avec son
mari et naquit d'une promesse faite par le réalisateur à
son actrice de boucler la boucle «un jour» de son «tier
de film». Dernier métrage en date du metteur en scène,
Dansereau passa les années suivantes à produire des films
pour l’ONF et à élaborer de multiples séries-télés.
Quant à Monique Mercure, ayant débuté sa carrière
dans le À tout prendre de Claude Jutra (1963), elle
eut la carrière qu’on lui connaît en travaillant
autant chez les francophones que les anglophones tout en récoltant
au passage un prix au Festival de Cannes.
Débutant par un «Ça suffit comme ça. Tu ne
me feras pas vivre ça» lancé par une Monique Mercure
(interprétant Madeleine) aussi resplendissante à 78 ans
qu’à 37, les deux artistes se rejoignent enfin dans un
brillant hommage au combat contre l’Alzheimer. Cette Madeleine
désenchantée, abattu par le temps et s’apercevant
tout juste de sa perte de mémoire cherche à visiter toute
sa petite famille dans une dernière tournée d’adieu
qui prendra finalement des allures de road trip dans le bas St-Laurent.
Zoé (Suzanne Clément), elle, est une jeune pianiste de
bar toxicomane et dépressive esseyant d’échapper
à ses dettes jusqu’à ce qu’un heureux hasard
la pousse à la rencontre de Madeleine, errant dans les rues de
Montréal. Des deux femmes naîtra alors une relation de
symbiose où Zoé prendra soin de la malade en échange
d’un remboursement de ses dettes. Bien entendu, les altercations
quant à la perte de mémoire de la vieille dame ainsi que
la confiance fugace qui bascule entre les deux femmes formeront la première
intrigue avant que celles-ci décident de partir pour la Gaspésie
rejoindre la fille de Madelaine et son mari médecin. Tout au
long de la route, à la recherche de ses souvenirs passés
et de la seule famille qui lui reste, la mémoire de la victime
ne fera que s’embourber dans cette brunante jusqu’à
la pousser à l’ultimatum de s’enlever la vie ou de
vivre pour ceux qui l’aiment.
Qu’on se le tienne pour dit, La Brunante est un film
poignant qui nous prend par les tripes jusqu’à nous faire
se demander si l’on accepterait de vivre dans la douleur pour
le bonheur d’autrui. Optimiste dans son raisonnement, Fernand
Dansereau nous lègue un film à penser à mi-chemin
entre la réalité et la fiction soutenu par un jeu impeccable
de Monique Mercure, sa jeune compatriote et des flash-back datant du
film de 1968 où l’actrice n’avait pas une ride. Aussi
simple soit l’effet, il demeure néanmoins une grande force
du film où l’on se permet souvent de se laisser aller au
destin de l’embrumée, à la suivre dans son pèlerinage
familial, mais surtout à afficher de l’appréhension
face au sort tout aussi tragique de Zoé, jeune fille délaissée
par la société et à qui la seule famille restante
repose dans une sœur escorte à Montréal. Parsemé
de silences pesants sur la relation entre Madeleine et ses proches,
sur des dilemmes moraux représentés à travers la
perception de la maladie qui progresse de jour en jour, La Brunante
contient aussi sa part de rires grâce à deux actrices affichant
une complicité hors pair lors de plusieurs situations cocasses
où le comique vient remplacer le temps d’une scène
la gravité de la maladie.
Hommage à Claude Jutra, le long-métrage de Dansereau en
contient plusieurs clins d’oeil. Une photo du cinéaste
dans une revue, le mot que Madeleine s’adresse à elle-même
lors de l’avant-dernière scène qui rappelle les
événements entourant le tragique décès de
Jutra sans compter l’affinité que partageaient le réalisateur
et la comédienne avec le prodige québécois participe
à accentuer la gravité de la situation et à prendre
conscience de la détermination employée ici. Si quelques
scènes paraissent forcées par le hasard tandis que d’autres
restent surchargées au point de vue de la symbolique (l’allégorie
du lichen en exemple), le tout reste pardonnable et ne nuit finalement
que très peu au produit fini, sauvé au point de vue technique
par les images d’archives insérées au montage final.
Visiblement issue du monde de la télévision, la réalisation
de Dansereau se fait cahoteuse par moment et trop artificielle pour
le sujet. Rescapé de la cinématographie des années
60, son style n’a que peu changé et on ne peut trouver
que malheureux que ce dernier nuise tant dans quelques scènes
du film. Le choix de certaines d’entres elles se trouvant par
contre bien justifié sans tomber dans les contraintes commerciales
se retrouve par contre bien réussit tout en ayant le potentiel
de déployer tout les talents de Monique Mercure en vieille dame
névrosée et surtout celui de Suzanne Clément qui
y tient sûrement son meilleur rôle avec celui de L’Audition
de Luc Picard (2005) dans un personnage aux allures de jeune maman délinquante.
Au final, le public pourra se dire chanceux du retour inattendu de Fernand
Dansereau dans le monde du cinéma après tant d'années
d’absence. Moyen dans sa forme, l’élégante
pertinence de l’optimisme fournit par l’ensemble émeut
facilement et prouve qu’un cinéaste onfien de sa trempe
n’aura pas encore dit son dernier mot (il travaille aussi à
l’écriture d’un nouveau scénario) sur les
enjeux moraux refaisant souvent surface en rapport au suicide assisté
ou au droit à mourir. Tendre, sans prétention et poétique,
La Brunante est un message d’espoir aux familles touchées
par le drame de la part d’un cinéaste qui le vécut
à sa manière lors de la perte de Claude Jutra un 5 novembre
1986. Message d’espoir de plus pour les proches des victimes chez
qui la maladie se retrouve parfois plus douloureuse que chez le malade,
la relation grandissante entre Madeleine et Zoé à la manière
d’une infirmière et de sa chouchou lâche aussi un
cri d’alarme quant au besoin urgent que requièrent ces
malades. Pour une fois la subjectivité de la malade étant
prise comme sujet principal et non comme un accessoire dans un maigre
film psychologique, l’on se doit de ne pas perdre de vue que cette
Brunante reste humblement le signal de fumée sympathisant
de Fernand, envoyé le temps d’une projection à son
bon vieil ami Claude.
Version française : -
Scénario :
Fernand Dansereau
Distribution :
Monique Mercure, Suzanne Clément, Patrick
Labbé, Stéphane Gagnon
Durée :
101 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
7 Avril 2008