THE BROTHERS GRIMM (2005)
Terry Gilliam
Par Frédéric Rochefort-Allie
Depuis Fear & Loathing in Las Vegas en 1998, Terry Gilliam
aura connu un parcours des plus mouvementés. Accumulant les projets
inachevés, plus particulièrement celui du chef-d'oeuvre
en devenir que se devait d'être The Man Who Killed Don Quixote
qui lui attira de nombreuses dettes, son retour n'était plus
chose certaine. En particulier quand la dernière image sur laquelle
le cinéaste nous avait laissé nous présentait un
réalisateurs en lambeaux et désillusionné. Un Don
Quichotte vaincu par ses propres moulins à vent. Il n'est donc
pas surprenant que son grand retour se fasse sous une approche plus
commerciale.
Will (Matt Damon) et Jacob (Heat Ledger) Grimm sont des frères
réputés dans l'extermination de créatures maléfiques...
qu'ils créent eux-mêmes. Alors qu'ils sont forcés
de servir la France, les frangins devront affronter de véritables
dangers pour tenter de mettre fin à un maléfice qui reigne
sur un petit village.
S'il est vrai qu'il ne s'agit certainement pas du meilleur film réalisé
par Gilliam, il serait injuste de critiquer le cinéaste pour
avoir osé toucher au cinéma commercial quand aucun producteur
n'a sérieusement songé à financer les visions du
génie et qu'il se voit donc contraint à faire des films
plus légers pour nous offrir éventuellement un petit chef-d'oeuvre.
Brothers Grimm n'est pourtant pas aussi mauvais qu'on le prétend.
En fait, c'est un divertissement féerique dans l'esprit de Time
Bandits qui vise un public plus familial et qui peut toucher les
amateurs de cinéma fantastique et d'aventures, pour qui sait
apprécier un cinéma un peu moins cérébral
qu'on serait en droit d'attendre normalement de la part du cinéaste.
Cependant, bien que l'esprit de Terry Gilliam puisse avoir marqué
l'ambiance générale du film, il ne faut pas oublier que
le réalisateur a mené une chaude lutte avec les frères
Weinstein (les grands patrons de Miramax), qui a duré presque
deux ans, pour défendre sa vision. Combat qui aura mené
à la perte de plusieurs droits notamment un changement de casting,
un compositeur de musique plus traditionnel, le remplacement du directeur
photo de Fear & Loathing in Las Vegas pour celui d'X-Men,
et bien entendu la perte de nombreuses scènes par un remontage
forcé. Bref, la routine. Mais même dans cette grande perte
de pouvoir, Gilliam trouve tout de même d'habiles façons
de faire référence à ses films passés, voir
la séquence à la Brazil de la salle de torture,
ou à ses propres maitres comme le fait la finale à la
Fellini.
Écrit par la scénariste de Arlington Road, Ehren
Kuger, le scénario survole de nombreux contes écrits par
les frères Grimm où Blanche Neige rencontre l'univers
de la princesse Rapunzel, en supposant que les frères Grimm ont
trouvé leur inspiration pour leurs contes durant ces évènements.
Un Sleepy Hollow à la touche Time Bandits!
Certains jugeront que le film aurait pu être beaucoup plus sombre
et plus fidèle à l'univers des Grimm. C'est bel et bien
vrai, et d'ailleurs les frangins n'ont jamais été des
arnaqueurs professionnels. Mais le film étant un divertissement,
il compense pour certains de ses trous scénaristiques par des
réinterprétations intéressantes et des séquences
visuellement impeccables. D'autant plus qu'Ehren Kruger a donné
vie aux deux légendaires personnages de la littérature
en créant deux personnages franchement attachants, sa plus grande
réussite chez Brothers Grimm. Mais l'histoire nous a
démontré que Gilliam est toujours en meilleure possession
de ses moyens quand il signe lui-même ses propres scénarios.
Preuve en est, Brazil, Fear & Loathing, Time
Bandits sont tous trois de purs classiques. C'est bien pourquoi
on y retrouve que très peu d'humour sombre à deux degrés.
Si Gilliam avait pu y laisser un peu plus sa trace, gageons que les
frères Grimm auraient eu un peu plus de profondeur. Néanmoins,
les comédiens de talent que sont Matt Damon et Heat Ledger y
trouvent des rôles qui leur vont comme des gants et à qui
ils ajoutent cette complexité qui était déficiente
sur papier, particulièrement chez le dernier. Damon incarnant
Will le rationnel, et Ledger en tant que Jacob se laissant berner par
sa grande imagination. Jonathan Pryce y fait aussi un grand retour,
tout à son honneur. Rappelant Brazil par sa simple apparition,
il y incarne un vilain général français aux ambitions
sadiques. Un personnage stéréotypé, soit, mais
amusant. La seule grande déception reste Lena Heady, visiblement
incomfortable dans l'ambiance «gilliamesque» et qui campe
un personnage qui revenait de droit à Samantha Morton selon le
cinéaste et Damon, mais malheureusement pas selon les Weinstein.
Qui devons-nous pointer du doigt? La scénariste à qui
l'on commande un film commercial, le cinéaste en manque d'argent
ou les dirigeants de la compagnie de distribution qui contrôlent
presque chaque aspect de la création de l'oeuvre? La réponse
est simple. Finalement, il s'agit beaucoup moins d'un film de Terry
Gilliam qu'un film par lui. Mais même si le résultat est
décevant pour un Gilliam, Brothers Grimm est un film
qui atteint parfaitement ses objectifs, visant de toute façon
un public plutôt jeune. Si un pur inconnu avait signé la
réalisation de ce prétendu «navet», plusieurs
pourraient y voir le divertissement bien ficellé, mais léger
qui se fait présentement lapider pour ne pas répondre
aux attentes des fans enragés. Film impersonnel? Surement. Inutile,
tout au contraire. Dites vous qu'aller voir Brothers Grimm,
c'est plus qu'un film, c'est nous permettre de sauver Gilliam.
Version française :
Les Frères Grimm
Scénario :
Ehren Kruger
Distribution :
Matt Damon, Heath Ledger, Monica Bellucci, Alena
Jakobova
Durée :
118 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
29 Août 2005