BRINGING OUT THE DEAD (1999)
Martin Scorsese
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Bringing Out the Dead a toutes les allures d'un retour au bercail
pour Martin Scorsese. Non seulement le réalisateur y retrouve-t-il
après presque dix ans d'exil la ville de New York, qu'aucun autre
cinéaste sinon peut-être Woody Allen n'a pu immortaliser
de façon aussi inspirée sur pellicule, mais le film marque
aussi sa première collaboration avec le scénariste Paul
Schrader depuis The Last Temptation of the Christ (1988). C'est
Shrader qui a donné à Scorsese les meilleurs scripts de
sa riche filmographie, soit Raging Bull (1980) et Taxi
Driver (1976). Les similitudes entre ce dernier et Bringing
Out the Dead sont d'ailleurs si frappantes qu'il devient presque
impossible de visionner ce vingt-et-unième long métrage
de Scorsese sans l'interpréter comme une sorte de réponse
plus optimiste à la descente aux enfers de Travis Bickle.
Nicolas Cage y interprète Frank Pierce, un ambulancier qui arpente
chaque nuit les rues mal famées de New York en quête d'une
vie à sauver. Sauver quelqu'un, dit-il, c'est être Dieu
pendant un instant. Pourtant, Frank est au bout du rouleau au moment
où nous le rencontrons. C'est qu'il est depuis six mois hanté
par le fantôme d'une jeune fille qu'il n'a pu réanimer
et cherche désespérément une rédemption
qui tarde à venir. Solitaire et insomniaque à l'instar
du personnage qu'il rappel tant, Pierce est aussi tout comme Bickle
une victime de l'Amérique, l'un poussé à bout par
son expérience dans la guerre du Vietnam et l'autre par un système
de santé incapable de fournir à la demande. Bringing
Out the Dead suit Frank durant 48 heures; trois excursions hallucinantes
au coeur de la jungle urbaine qui pousseront l'ambulancier aux limites
de la folie.
Cage est exceptionnel dans le rôle principal, rendant parfaitement
tangible le désespoir et l'épuisement absolu de son personnage.
Sans être du calibre de celle de De Niro dans Taxi Driver,
son interprétation est d'une justesse ainsi que d'une profondeur
impressionnante et vient confirmer qu'il n'est plus la vedette de films
d'action au registre limité qu'il était quelques années
auparavant. Les sceptiques diront qu'il se borne à mimer sa performance
oscarisée de Leaving Las Vegas (1995), mais son intensité
est tout simplement remarquable. Le reste de la distribution l'encadre
merveilleusement bien; John Goodman, Ving Rhames et Tom Sizemore offrent
tous les trois des performances mémorables dans le rôle
de collègues de Frank, ajoutant une touche d'humour mordant à
l'atmosphère sombre et délirante du film. Seule Patricia
Arquette n'est pas à la hauteur en ex-junkie dont le père
se meurt lentement à l'urgence.
Le personnage d'Arquette n'est pas sans rappeler celui qu'interprétait
Jodie Foster dans Taxi Driver. Toutes deux deviennent une sorte
de bouée de sauvetage pour le protagoniste principal, une lueur
d'espoir au milieu de l'enfer qu'ils traversent, et ce malgré
le fait qu’elles sont elles-mêmes victimes de cet univers
sauvage. Travis et Frank y verront tous deux la source de leur rédemption,
mais alors que le chauffeur de taxi tente de sauver la jeune prostituée
par l'entremise de la violence, le chauffeur d'ambulance refusera lors
de la conclusion d'y avoir recours comme échappatoire. Scorsese
lui-même semble d'ailleurs chercher à s'éloigner
de celle-ci, qui a pourtant si longtemps défini son univers.
Bien que Bringing Out the Dead soit un film dur et sombre,
la violence y est beaucoup plus implicite que dans des films tels que
Goodfellas (1990) ou Casino (1995). Peut-être
aussi le périple bouddhiste raté de Kundun (1997)
aura-t-il finalement marqué l'illustre réalisateur, car
le film est teinté d'une spiritualité contrastant avec
le réalisme sordide de ses films les plus connus.
La distinction thématique la plus marquée entre les deux
films est l'absence dans Bringing Out the Dead d'une critique
sociale aussi développée que celle qu'offrait Taxi
Driver. On peut certes y lire un commentaire sur l'état
du système de santé aux États-Unis ainsi qu’une
réflexion d'une grande sensibilité sur l'acharnement thérapeutique
et sur l'euthanasie, mais le film traite d'abord et avant tout de la
rédemption de son protagoniste principal tandis que Taxi
Driver s'attaquait à l'Amérique entière avec
l'énergie du désespoir, dénonçant furieusement
la manipulation médiatique, la violence, la corruption et l'hypocrisie
de la démocratie. Comparativement, Bringing Out the Dead
est un film beaucoup plus personnel et intimiste.
Techniquement, on reconnait dans chaque plan du film la marque du maitre
Scorsese. Bringing Out the Dead profite d'un montage percutant
dont l'effet à la fois explosif et désorientant est décuplé
par une trame sonore qui exploite particulièrement bien la musique
des Rolling Stones et de The Clash. De plus, la photographie tout bonnement
formidable de Robert Richardson mise sur des contrastes clair/obscur
marqués pour créer un effet à la fois réel
et presque fantomatique des plus réussis.
Certains accuseront Scorsese de se répéter avec Bringing
Out the Dead. Mais, beaucoup plus qu'une simple relecture de son
plus grand classique, le film offre un regard nouveau sur plusieurs
des thèmes déjà explorés dans Taxi Driver,
celui d'un homme qui avec l'âge semble avoir gagné en maturité
et en optimisme. Loin du nihilisme de Taxi Driver, Bringing
Out the Dead est un film qui se termine sur une lueur d'espoir
sans toutefois compromettre la vision durement réaliste d’un
réalisateur qui réussit à y exploiter les forces
de son œuvre tout en évitant certains de ses clichés.
Sans être le meilleur film de Scorsese, Bringing Out the Dead
se classe sans aucun doute parmi les plus réussis qu'il ait réalisés
durant les années 90.
Version française :
Ressusciter les morts
Scénario :
Paul Schrader, Joe Connelly (roman)
Distribution :
Nicolas Cage, Patricia Arquette, John Goodman,
Ving Rhames
Durée :
121 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
2 Juin 2004