BRIGHT STAR (2009)
Jane Campion
Par Laurence H. Collin
Six années se sont écoulées depuis le plus récent
long-métrage de Jane Campion, et treize depuis son dernier film
d’époque, Portrait of a Lady; (trop) long intermède
qu’on ne pourrait raisonner à la suite du visionnement
de ce distingué et authentique Bright Star, drame romantique
venant accueillir la cinéaste néo-zélandaise en
excellente forme. Peinture d’époque intimiste aux propensions
lyriques, mais nullement utopistes, on pourrait essentiellement cataloguer
l’oeuvre comme histoire d’amour ‘‘comme on ne
les fait plus’’, quoi que l’on puisse remettre en
doute si elles ont déjà été faites ainsi
auparavant. Thème premier et unique au film, cet amour certain
feutre chaque cadrage sous toutes ses incarnations, qu’elle se
niche dans la découverte, l’espérance, le partage
ou la privation. Bien que dénuée des passions transgressives
qui avaient pourvu The Piano (ou, dans une autre mesure, In
the Cut), l’approche privilégiée par Campion
évoque néanmoins une éloquence humaniste qui fait
transcender sa plus récente oeuvre au-delà des mélodrames
en costumes compassés avec lesquels on serait incité de
la comparer à première vue.
Le récit de Bright Star a beau épouser des éléments
biographiques de la vie du poète romantique anglais John Keats,
l’ensemble ne s’apparente pourtant pas à une biographie.
Centré sur la liaison fervente qui unira Keats (Ben Whishaw)
à Fanny Brawne (Abbie Cornish), jeune femme exclue de son cercle
d’écrivains, mais néanmoins touchée par ses
écrits, le scénario couvre les dernières années
du poète avant son décès, c’est-à-dire
des premières rencontres du couple en 1818 jusqu’à
la tuberculose qui emportera finalement Keats en 1821 à l’âge
de vingt-cinq ans. Pour la plupart des réalisateurs, on trouverait,
certes, ici matière à déployer une histoire relatant
l’apogée de l’inspiration de John Keats à
travers sa romance impétueuse avec Brawne (incluant la genèse
du sonnet titrant le film et lui donnant ses premières lignes,
"Bright star! would I were steadfast as thou art").
Mais avec Campion aux commandes, aucun élément du film
ne requiert au spectateur d’être en connaissance de la consécration
posthume de Keats, de son influence dans la littérature anglaise;
en effet, Bright Star pourrait aisément laisser un impact
équivalent même si l’oeuvre entière du poète
s’était disséminée dans l’histoire.
Ayant ici affaire à un traitement révérencieux
d’une histoire d’amour classique, le spectateur constatera
donc peu à peu que les mesures d’emblée plus "narratives"
du récit s’estomperont furtivement pour laisser place à
la composition d’un véritable poème audiovisuel.
Campion laisse d’ailleurs Keats lui-même dévoiler
ce qui pourrait vraisemblablement être la clé de l’oeuvre
dans une scène illustrant la toute première leçon
de poésie de sa bien-aimée : ce dernier lui explique que
lorsque l’on se retrouve au beau milieu d’un lac, l’aboutissement
véritable de la sensation n’est pas de comprendre et de
savoir décortiquer en parties ce qui engendre la perception sensorielle
de l’eau sur la peau, mais bien de savoir pleinement ressentir
et expérimenter la sensation elle-même d’être
dans un lac. On ne décortique pas un poème en composantes
afin de les passer au peigne fin; on laisse tout simplement son pouvoir
d’évocation nous border puis enivrer de son émotion
sans autre médiation. Voilà essentiellement l’optique
employée par Campion pour Bright Star : dépeindre
un climat soutenu d’exaltation romantique arborant l’amour
sous son zénith, son nadir, ses émerveillement, ses exaspérations.
Comme mentionné précédemment, ce parti pris impressionniste
désavantage bien évidemment l’axe biographique qui
aurait pu être tiré de la romance à l’origine
du scénario, celui-ci étant d’ailleurs dense en
ellipses temporelles faisant ressentir le passage du temps avec un succès
variant. Mais le portrait historique n’étant pas dans les
intentions immédiates de la réalisatrice, il est alors
facile de justifier ces abrégés, bien que certains d’entre
eux aient un effet déroutant à prime abord. C’est
durant son deuxième tiers que Bright Star s’alanguit
un brin, alors que chaque scène rappelle un peu trop la précédente
et que les objections de l’entourage du couple se montrent plus
palpables, mais ensuite curieusement désaffectées. Le
confrère poète de Keats, Charles Armitage Brown (Paul
Schneider), est d’ailleurs présenté de façon
plutôt réductrice, bien que son interprète déploie
tous les efforts qu'on lui connaît afin de lui conférer
une dimension outre celle de l’écossais irascible désirant
garder la présence de John Keats et son génie pour lui-même.
Cette omission de nuance moindre, mais bien présente, et la somnolence
passagère du second acte sont pourtant tout aussi surmontables
lorsque l'on s'attarde - et ne serait-ce qu'en surface - aux autres
richesses que propose Bright Star. À commencer par la
direction photo soignée de Greig Fraser et la direction artistique
aucunement poseuse de Janet Patterson (collaboratrice de longue date
de Campion), tous deux maniant une progression subtile sur toutes ces
années d'amour s'apparentant à un été presque
interminable. Saluons finalement la présence à l’écran
de la formidable Abbie Cornish, très belle actrice australienne
qui n’avait pas inspiré de composition particulièrement
renversante jusqu’à présent dans sa carrière.
Son appropriation sincère et souvent touchante de Fanny Brawne
ne suggère rien de moins que la dextérité irréprochable
d’une vétérane, d’une vieille âme dans
un jeune corps. Face à un Ben Whishaw habité, mais trop
passif, en amoureux fou et à une Kerry Fox étonamment
froide en matriarche maniérée, Cornish évite le
piège de la solennité avec grâce et s’avère
tout à fait à la hauteur lors des chavirements émotifs
que le rôle lui commande. Celle-ci se verra fort probablement
le tout premier élément dont le public de Bright Star
sera poussé à louanger chaleureusement après le
générique.
Version française : Mon amour
Scénario : Jane Campion
Distribution : Ben Whishaw, Abbie Cornish, Kerry Fox, Paul Schneider
Durée : 119 minutes
Origine : Royaume-Uni, Australie, France
Publiée le : 20 Novembre 2009
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