BREATHLESS (2009)
Yang Ik-june
Par Mathieu Li-Goyette
Alors que certains gémissent la mort du cinéma coréen,
le circuit des festivals internationaux est, quant à lui, le
témoin de première de l’éclosion d’un
cinéma différent ayant atteint une nouvelle maturité.
Empêtré dans ses stéréotypes du grand anti-héros
et des fortes émotions mises de l’avant dans une esthétique
toujours plus léchée, le premier film du réalisateur-scénariste-producteur-acteur
Yang Ik-june renverse à lui seul la vapeur. Oeuvre exceptionnelle,
Breathless n’a rien à voir avec l’À
bout de souffle de Godard ni avec aucun segment de sa filmographie,
il est plutôt de ces raretés à nous indiquer que
ce premier travail d’un cinéaste émergeant contient
déjà la griffe de son auteur. Son sens du réalisme,
la scission entre le monde manichéen du cinéma et celui
poussé dans l’extrême des gris de Breathless,
l’histoire de Sang-hoon (Yang Ik-june), gangster frustré,
et de la jeune étudiante blasée Yeon-hee traite de la
nuance et de la rédemption. Un Séoul grisonnant, un aspect
meurtri et désaturé qui agrippe le film, Yang Ik-june
signe un film en deuil, triste et porteur d’une profonde colère
contre lui-même et la société qui crée et
démolit les personnages qu’il nous présente. Pourtant
trop humaniste pour se laisser prendre par le misérabilisme,
Ik-june termine en soulignant que l’espoir se trouve en quelque
part au loin, que la rencontre de plusieurs individus spéciaux
arrive à faire des caractères méprisables et lâches
des vertus en devenir.
Un gangster irrévérencieux, une étudiante à
la tête froide, un enfant sans figure paternelle vers laquelle
se tourner, Breathless tourne autour d’énormes
personnages aux émotions tordues. Cruelle et grandiose, la relation
entre ceux-ci interpelle un positionnement éthique par rapport
au traitement de son prochain et surtout à l’incontrôlable
colère résultant d’une pauvreté extrême
et d’un gangstérisme exercé dans le plus grand dépit.
Rappelant des airs de Gomorrah, faisant surtout penser au flair
social de Ken Loach, Ik-june démontre la symbiose possible entre
deux opposés d’une société stéréotypée
dans les castes sociales. Étudiante qui se voit abandonner l’école
et entrer sur le marché du travail, gangster au passé
refoulé et à la carrure du anti-héros coréen
par excellence, l’échange qui s’exerce ici ramène
le spectateur aux antipodes du cinéma de genre où les
personnages typés s’affrontent par les armes (l’action),
la terreur (l’horreur), le gag (la comédie) et bref, des
actions substantielles qui font avancer le récit dans un certain
sens. Plutôt un film à dialogues et de prises de conscience,
Breathless, par son style documentaire extrêmement bien
appuyé, filme la vie des bas-fonds de Séoul dans le plus
amère réalisme possible.
Violences, tendresses artificielles et enfants maltraités, Sang-hoon
est sans pitié et tente de faire de son entourage le calvaire
qu’il subit depuis si longtemps. Tyran parmi les plus misérables,
Ik-june parle avec justesse du piétinement entre les «
prolétaires » soudainement devenus représentant
d’un film de la Corée du Nord. Mêlant la distinction
toute fausse et insécure de sa nation à la brutalité
refoulée de son pays-jumeau, le microcosme de Breathless
prêche une nouvelle écoute entre les deux partis à
la recherche de la même finale. Profondément perturbés
par leur entourage et les personnages satellites du film, Sang-hoon
et Yeon-hee ne se laisseront jamais tomber dans le sommet de la passion
qui, par la haine, les fait se voir une connexion supérieure
aux affinités et aux caractères opposés pour déceler
enfin ce qui se nomme le destin, l’incommunicable. S'il est à
présent si rare de voir un film coréen qui traite de la
Corée - en se basant sur les avances faites par Ik-june - c'est
parce que rien n'est dit et tout est pleuré. Sangloté
jusqu'à la dernière goutte et jusqu'à cette dernière
perte qu'est celle de Sang-hoon, le sujet n'est pas tant tabou qu'il
blesse au coeur ce dont la Corée du Sud évite de parler.
Arborant pourtant une haine profonde contre ses ennemis, le personnage
typée de la nouvelle vague coréenne est peut-être
enfin déchiffré au compte d'un premier anti-héros
démasqué et sensibilisé.
Épuisée, à bout de souffle dirons-nous, la mise
en scène de Ik-june est respectueuse des êtres qu'elle
filme en ne faisant de la violence qu'une donnée parmi la pauvreté,
la vulgarité et les troubles sociaux. Breathless provoque
une immersion qui provoque à son tour la teinte de la grande
capitale dans laquelle l'omission de références et de
points de repère brise l'espace virtuel dont l'usuel huis clos
des cinématographiques bas-fonds profite. Relatif et omniprésent,
Ik-june ne régionalise que les préoccupations de ses personnages
tout en laissant leurs figures et les enjeux à la portée
d'un universalisme travaillé et sans bavure. Au demeurant réaliste,
le cinéaste n’est pas non plus un conteur de fables, il
est un dactylo de l’entourage dans lequel il aura du vendre sa
propre maison pour financer ce premier film empli d’une vergogne
certaine envers le personnage qu’il incarne tout en concluant
que le chemin vers son expiation passe malheureusement par sa mort.
Brutale, sans avertissement, c’est la perte de la moitié
qui entraîne une prise de conscience ultime où, de l’irréconciliable
nous parvient une nouvelle endurance pour affronter ce que Sang-hoon
représentait. Dans un dernier plan, Yeon-hee est devant le même
gangster, mais devant un homme différent. Devant le même
problème, mais aussi devant un cas particulier qui conclut par
la répétition et l’incertitude d’un épisode
parcouru pour la deuxième fois; le spectre du spectre hante encore
les ruelles de Séoul.
Version française : -
Version originale :
Ddongpari
Scénario :
Yang Ik-june
Distribution :
Yang Ik-june, Kim Kot-bi, Jeong Man-shik, Hwan
Lee
Durée :
130 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
26 Juillet 2009