BREAKFAST ON PLUTO (2005)
Neil Jordan
Par Alexandre Fontaine Rousseau
I love talking about nothing. It is the only thing I know anything about.
- Oscar Wilde
C'est sur cette citation du célèbre dramaturge irlandais
Oscar Wilde que se termine Breakfast on Pluto, le plus récent
film du réalisateur irlandais Neil Jordan. La phrase, à
elle seule, résume tout ce qu'il y a à dire sur le quinzième
long-métrage de Jordan. Petite chronique frivole brassant à
nouveau les principaux thèmes du Crying Game de 1993,
à savoir la question de l'identité sexuelle et celle du
terrorisme irlandais, Breakfast On Pluto est un film léger
à prendre à la légère. Ceux qui s'attendaient
à un coup de poing dans la lignée de The Butcher Boy,
une première association des plus convaincantes entre Jordan
et l'auteur Patrick McCabe, sont priés de réviser leurs
attentes. Vaguement sulfureux mais somme toute très rangé,
le film de Jordan a tout pour se mériter au Québec l'étiquette
paresseuse de C.R.A.Z.Y. irlandais: l'obsession musicale y
est, tout comme le thème de l'homosexualité placé
dans le cadre d'un milieu conservateur.
Autour du parcours de Patrick «Kitten» McBrady, un jeune
homme efféminé né dans l'Irlande catholique des
années 60, Neil Jordan présente encore une fois les déchirements
socio-politiques de son pays de la perspective d'excentriques et de
marginaux. Mais son film aspire surtout à raconter de façon
extrêmement littéraire voire même romantique l'histoire
de Kitten qui ira jusqu'à Londres pour retrouver sa mère.
En découle malheureusement une construction épisodique
subdivisant l'histoire en 36 chapitres, dont quelques-uns sont de trop,
qui n'arrive pas à s'affranchir de la forme du roman de McCabe.
Malgré quelques longueurs, Jordan arrive néanmoins à
nous garder rivé à l'écran grâce à
son talent de conteur remarquable et à son indéniable
flair visuel.
La recette est bien connue et a fait ses preuves il y a bien longtemps:
mélangeant en parts égales humour et drame, Breakfast
On Pluto présente les expériences éprouvantes
puis la rédemption de son personnage principal sur un ton doux-amer
tempéré et senti. Ça fonctionne. Pour la surprise,
on repassera. Mais on retient surtout du film son incroyable distribution.
La performance marquante de Cillian Murphy en jeune travesti devrait
confirmer une bonne fois pour toute son statut de chouchou du public
et Liam Neeson s'avère égal à lui-même dans
le rôle d'un prêtre catholique bouleversé par les
frasques du jeune homme.
Quelques séquences s'avèrent sublimes: un splendide lien
visuel unit le confessionnal du village natal de Kitten à l'isoloir
d'un peep show londonien et l'intervention à quelques reprises
de deux oiseaux un peu philosophes s'avère une touche franchement
inspirée. Mais les mots d'Oscar Wilde résonnent malheureusement
tout le long du film: Breakfast On Pluto est une bonne histoire
bien racontée, point à la ligne. Ceux qui vont au cinéma
pour se faire raconter la vie d'individus fictifs en auront pour leur
argent. Mais le nouveau film de Neil Jordan demeure une expérience
cinématographique plutôt vide.
On sort donc de la projection du film amusé et touché
tout en sachant pertinemment que l'on oubliera tôt ou tard le
tout pour laisser la place à une autre chronique dans la même
veine. En ce sens, notre C.R.A.Z.Y. à nous était
un film bien plus marquant, et ne souffrait pas des mêmes problèmes
de rythme que ce Breakfast On Pluto impeccablement assemblé
mais un peu trop léger pour marquer. Voici donc un film de qualité
qui saura sans doute trouver son public mais n'arrive pas à la
cheville des essais plus passionnés et choquants de Jordan.
Version française : -
Scénario : Neil Jordan, Pat McCabe (roman)
Distribution : Cillian Murphy, Liam Neeson, Stephen Rea, Brendan
Gleeson
Durée : 135 minutes
Origine : Irlande, Royaume-Uni
Publiée le : 18 Novembre 2005
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