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BRAZIL (1985)
Terry Gilliam

Par Frédéric Rochefort-Allie

Imaginez un homme assis sur une chaise à la plage. Il fait dos à un monde sombre plein de tuyaux et de fumée. À côté de lui se trouve une radio, elle fait jouer la chanson Brazil. C'est ainsi qu'est née dans la tête de son créateur ce que plusieurs considèrent comme l'oeuvre phare du réalisateur britannique (par adoption) Terry Gilliam. Si le public ignore majoritairement l'existence de cette oeuvre, Hollywood tremble encore du combat qu'a livré le réalisateur pour défendre l'intégrité de son film. Il faut spécifier que si vous avez déjà vu ce film à la télévision aux États-Unis, vous n'avez malheureusement jamais vu Brazil, mais plutôt Love Conquers All, une version censurée et modifiée par les studios Universal.

Brazil se déroule en plein XXe siècle. Ici, se situer dans un espace-temps précis importe peu. Nous somme quelque part au XXe siècle, dans une société cauchemardesque où le fonctionnaire Sam Lowry se plait à se niveler vers le bas. Tout va basculer un jour lorsqu'un insecte créera un bogue qui va modifier une lettre sur le mandat d'arrestation d'un terroriste et qui provoquera une rencontre entre Sam et la femme de ses rêves, ou plutôt celle qu'il croit être la femme de ses rêves. On promet de grandes promotions à Sam, mais tout ce qu'il désire c'est retrouver cette mystérieuse camionneuse qui hante sa vie onirique.

Brazil est tout d'abord un film très difficile à regarder. Il demande un effort constant de la part du spectateur, car il est très riche visuellement. C'est un peu la signature de Gilliam, inclure tellement d'éléments qu'on doit revoir plusieurs fois le même plan pour y découvrir ses subtilités. La composition de l'image et le cadrage sont donc extrêmement soignés. Gilliam arrive à reproduire un effet de claustrophobie, d'étouffement et ce, même avec des plans d'ensemble. Le réalisateur tente constamment de déstabiliser le spectateur et réussit haut la main. On ressent aussi chez lui une influence du cinéma de Fellinni et de l’expressionnisme allemand. Le résultat se rapproche d'un mélange entre le baroque et l'art nazi, c'est donc très excentrique et particulièrement imposant. La musique de Micheal Kaemen s'harmonise parfaitement à cette ambiance. Le compositeur transforme la chanson Brazil sous toutes les formes possibles, la poussant à ses limites. Parfois, il va jusqu'à parodier la marche impériale de Darth Vader pour invoquer la dureté d'un personnage ou du système dans lequel Sam évolue. Tout comme Star Wars, la trame sonore est impossible à éviter. Mais l'une des principales forces de Brazil est le traitement du scénario qui allie absurdité et intelligence, chose qui se fait que très rarement dans le cinéma présentement. Avec trois scénaristes à la barre de ce film, on assiste à une rencontre entre différentes idées qui donnent beaucoup d'étoffe au dernier jet. Contrairement au cinéma actuel où l'on se contente de nous faire réfléchir sur des concepts philosophiques que dix minutes après une scène d'action, Brazil pousse constamment à des réflexions, allant jusqu'à flirter avec les théories de Freud. Le spectateur peut aussi toujours s'amuser à trouver un détail qu'il n'avait jamais vu ou analyser le symbolisme d'une image. C'est ce que les réalisateurs Keith Fulton et Louis Pepe nomment dans leur documentaire sur le film 12 Monkeys (également de Terry Gilliam) le "Hamster Factor". Parfois Gilliam peut tellement être obsédé par un détail, qu'il doit tourner plusieurs fois une scène jusqu'à ce que tout soit parfait. Brazil est aussi une oeuvre intemporelle. Elle est constamment d'actualité car les guerres sont fréquentes dans notre société et pratiquement chaque jour nous devons faire face à la bureaucratie. Le décor, garni de tuyaux et de lieux post-modernes, n'appartient à aucune époque précise et donc l'univers du film devient immortel, impossible à dater. La structure du film est aussi très intrigante, car elle est divisée en huit parties dont chaque fin se termine par une séquence de rêve, question d'annoncer ou d'approfondir des évènements que Sam vit. De tous les rôles qu'on retrouve dans ce film, celui de Robert De Niro nous apparaît, à première vue, comme étant un intrus, mais il crève littéralement l'écran en se parodiant et il semble né pour jouer dans ce film. Son intonation et son jeu font d'Harry Tuttle un personnage inoubliable par son charisme et avec qui l’on aimerait passer plus de temps pendant le film. Micheal Palin, collaborateur assez fréquent avec Terry Gilliam, incarne l'ami de Sam et nous fait frissonner par son interprétation d'un homme monstrueux, mais à la fois si humain. Mais que serait Brazil sans son interprète principal, Johnathan Pryce, qui réussit à dégager tout l'aspect candide de l'amour et un manque total d'assurance (ce qui est un effet voulu pour ce film). C'est aussi un acteur très généreux qui joue avec les autres interprètes au lieu de prendre toute la place comme dans le cinéma Hollywoodien. Si les réalisateurs s'amusent présentement à épater leurs spectateurs en leur étalant une palette d’effets spéciaux éphémères, Terry Gilliam et les maîtres George Gibbs (Who Framed Roger Rabbit, Indiana Jones & The Temple of Doom) et Bob Hollow (28 Days Later) ont su créer une des scènes de vol des plus crédibles jamais vu à l'écran en utilisant des marionnettes et seulement quelques « blue screens ». Ce n'est donc pas parce qu'on possède plus de 100 millions qu'on fait nécessairement mieux qu'un petit film de 15 millions. Puis comme il n'y a rien de 3D dans Brazil, le résultat reste tout aussi crédible qu'en 1985. Tout à fait sidérant!

Brazil est un chef d'oeuvre très exigeant envers ses spectateurs. Comme presque tous les films de Terry Gilliam, on adore ou on déteste. Cependant, impossible de rester indifférent devant une oeuvre aussi étrange. Il est malheureux de constater que très peu de gens s'intéressent à ce que fait Gilliam. Les génies prennent souvent du temps à être acceptés et Universal a tout fait pour que le film soit modifié, tout comme Hearst à l'époque de Citizen Kane. On ne devrait pas censurer une oeuvre, qu'elle soit musicale, sur toile ou sur grand écran, car sinon, elle peut perdre tout son sens et sa personnalité.Une oeuvre doit appartenir à son maître car elle le représente. Comme le dit si bien le slogan du film : « Brazil, c'est un état d'esprit ».




Version française : Brazil
Scénario : Terry Gilliam, Charles McKeown, Tom Stoppard
Distribution : Jonathan Pryce, Robert De Niro, Kim Greist, Ian Holm
Durée : 142 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 12 Août 2003