THE BRAVE ONE (2007)
Neil Jordan
Par Louis Filiatrault
C'est un fait prouvé que sur la condition de fournir un certain
choc viscéral et de se garder de tomber dans la prêcherie
trop explicite (et encore...), une fiction minimalement compétente
peut se permettre d'endosser n'importe quelle cause tout en trouvant
preneur auprès du public. En dehors des facteurs sociopolitiques,
c'est dans cette recette primitive que se trouve la clé du succès
(descendant, certes) de l'ignoble série Death Wish durant
les années 70 ; on comprend aussi le vent de sympathie populaire
à l'égard du récent Death Sentence mettant
en vedette Kevin Bacon, reprenant la thèse d'autojustice sauvage
personifiée par Charles Bronson et l'apprêtant à
la sauce sadique contemporaine.
D'un autre côté, c'est l'ironie, posture se prétendant
« apolitique », qui depuis Tarantino s'est substituée
au pragmatisme d'autrefois ; comme exemples de cette transformation
de l'arme à feu en symbole plus ou moins abstrait, on pense un
peu au hasard au fétichiste Mr. and Mrs Smith, ou encore
à la célébration ballistique délurée
qu'organisait dernièrement Michael Davis dans Shoot 'Em Up,
élevant le mauvais goût assumé en divertissement
par excellence. Mais s'il ne faut pas bouder son plaisir devant de tels
étalages de mauvaise foi, il ne faut surtout pas tourner le dos
au rare effort s'essayant à remettre les pendules à l'heure,
ne serait-ce qu'à demi-mots. En ce sens, le Brave One
réalisé par Neil Jordan, abordant sans détours
et sans complaisance le thème épineux de la vengeance,
ne fait preuve de rien d'autre que... de bravoure (pardonnez le jeu
de mots) au sein d'un climat idéologique flou étouffant
plus souvent qu'autrement tout discours. Intrigant, compliqué,
psychologiquement sensible, seule une poignée de malheureux compromis
l'empêchent d'arriver pleinement à ses fins.
Auteure et animatrice d'une émission de radio comme on en n'entend
que sur les stations les plus difficiles à syntoniser (ou encore
au cinéma...), Erica Bain déambule à temps plein
dans New York à la recherche de matériel, fascinée
par les sons et les individus composant la grande ville. Mais cette
passion contemplative sera chamboulée un beau soir lors d'une
ballade à Central Park : s'aventurant hors des sentiers par un
malencontreux tournant du destin, Bain et son petit ami seront pris
au piège et sauvagement battus par une bande de voyous. Notre
héroïne s'en sortira sans trop de mal ; son amoureux n'aura
pas la même chance... Devant la lenteur et l'inefficacité
généralisées des policiers, mais surtout devant
le nouvel état de panique polluant désormais ses moindres
déplacements, Bain fera l'acquisition d'un pistolet, par des
canaux moins que légaux, et entreprendra de punir par elle-même
la racaille contaminant le monde. S'ensuivra une série d'événements
étoffant considérablement le traitement cinématographique
du « justicier urbain » (féminin cette fois-ci),
l'approchant avec sérieux et détournant plusieurs conventions.
D'entrée de jeu, si elle semble nous avoir été
racontée des dizaines de fois, cette mise en place demeure nécessaire
au démarrage d'un scénario qui révèlera
une étonnante complexité. De même, s'il paraît
initialement lorgner vers une nième fable paranoïaque proposant
bêtement l'application d'une vigilance de tous les instants, The
Brave One ne prend finalement que le soin de dessiner avec force,
bien que sans grande subtilité, l'ébranlement profond
de Bain, première étape de son parcours de réadaptation.
L'intelligence des scénaristes est plutôt de faire avancer
le récit, non pas en fonction d'une légitimation des actes
de l'héroïne ou même d'une rédemption classique
à la Scorsese, mais bien selon une prise de conscience progressive
voyant la protagoniste intérioriser sa propre culpabilité
devant les violences dont elle devient l'auteure ; un peu comme si l'explosion
de colère de Rambo dans First Blood se voyait étudiée
avec toute la finesse qu'elle demande.
À ce périple personnel s'ajoute en parallèle celui
de l'enquêteur Mercer, brillamment interprété par
Terence Howard, qui finira par croiser le chemin de Bain et à
se lier avec elle d'une étrange complicité. Sans aucun
doute, les rencontres entre les deux acteurs génèrent
des étincelles et donnent lieu à d'excellents moments
de cinéma. Néanmoins, un dénouement franchement
déroutant, moins contradictoire que trop ambigu pour son propre
bien, pose problème et frustre, d'autant plus qu'il semble étirer
trop radicalement les données amassées sur l'un des personnages.
Il en va de même (de la frustration) devant certains revirements
dramatiques poussifs défiant lourdement la confiance du spectateur.
Au final, The Brave One s'inscrit parmi cette classe de films
imparfaits mais certainement intéressants, commandant une certaine
indulgence mais triomphant de leurs incohérences par le biais
d'une originalité indéniable.
Tout à son avantage, le film bénéficie largement
de l'admirable réalisation de Neil Jordan. Capable d'orchestrer
sobrement de beaux passages impressionnistes, le cinéaste expérimenté
s'avère spécialement habile avec les mouvements de caméra,
organisant des scènes de suspense et d'action d'une grande fluidité,
ne cédant jamais à la tentation du surdécoupage
ou du voyeurisme. Il en résulte une atmosphère générale
portant fièrement les échos sourds de Taxi Driver,
et ce au-delà des simples décors nocturnes et crasseux
(et de la présence de Jodie Foster). L'actrice en question reste
fidèle à elle-même, c'est-à-dire sidérante,
et son personnage s'avère très intéressant à
observer, autant par sa profession que par sa psychologie bouleversée.
On peut donc conclure que, dans son ensemble, The Brave One
passe d'une manière somme toute admirable le test de la variation
sur des thèmes rebattus (c'est peu dire). Ouvert à la
réflexion, il demeure surtout ouvert à l'être humain
et à ses penchants plus sombres, évitant de formuler des
jugements hâtifs et se dotant même d'une conscience sociale
tout ce qu'il y a de plus pertinente. Avec ses maladresses et ses inspirations,
c'est le modèle par excellence d'un exemple sur lequel bâtir.
Version française : L'Épreuve du courage
Scénario : Roderick Taylor, Bruce A. Taylor, Cynthia Mort
Distribution : Jodie Foster, Terrence Howard, Nicky Katt, Naveen
Andrews
Durée : 122 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 13 Février 2008
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