BOXCAR BERTHA (1972)
Martin Scorsese
Par Frédéric Rochefort-Allie
Qu'ont en commun Jack Nicholson, Robert De Niro, Francis Ford Coppola
et Martin Scorsese? Tous ont été épaulés
par celui que l'on nomme «le roi du série-b». Non,
ce n'est pas Ed Wood, mais bien Roger Corman, l'homme à la filmographie
d'un demi million de titres tous aussi minables les uns que les autres.
La collision entre l'univers de ce producteur et de son jeune disciple,
destiné à devenir l'un des plus grands réalisateurs
du cinéma américain, n'est rien de moins qu'un choc titanesque
entre deux conceptions fondamentalement opposées d'un seul et
même art. Au début d'une prolifique et glorieuse carrière,
Scorsese dut choisir de réaliser un film plus commercial pour
se permettre quelques temps plus tard de pondre le petit classique que
devint Mean Streets.
Bertha (Barbara Hershey) est une jeune vagabonde qui trainasse de trains
en trains, couchant là où le vent veut bien la mener.
Elle deviendra rapidement une forme de «Robin des Bois»,
pillant aux riches pour donner aux syndicats. Elle sera bien entendu
poursuivie par le FBI.
Ce synopsis, propre aux mauvais films de série-b, fut produit
comme film alimentaire. Cette décision explique largement l'ensemble
de la médiocrité de l'oeuvre. Le scénario, bâclé
par les scénaristes de Battle for the Planet of the Apes,
est terriblement fade. Bertha prend difficilement vie et même
la mort tragique du père de la protagoniste, dans l'introduction,
semble une banalité. C'est la scène qui annonce le climat
fortement repoussant qui habitera le visionnement du spectateur tout
au long de l'oeuvre. L'ensemble du film comporte tellement de scènes
tout à fait inutiles et mal écrites que les quelques moment
«potables» sont inondés par un raz-de marée
de gros clichés et d'expressions texanes de mauvais gout.
Pourtant, pour un début dans le cinéma commercial, la
distribution paraissait tout de même solide. Barbara Hersey, en
plus d'être jolie, était (et demeure) une actrice estimée.
L'influence Corman et son effet dévastateur la transformera en
une actrice sans présence et dont la seule utilité visible
dans l'ensemble de l'oeuvre semble miser sur les scènes de nudité.
C'est tout dire. Même David Carradine, qui fait une apparition
cocasse sous le nom de Bill, n'a pas le charisme nécessaire pour
son rôle de hors-la-loi au service des prolétaires. Encore
une fois, Corman mise sur la nudité. Le seul acteur qui se détache
du lot incarne un riche Juif. Barry Primus, le comédien, sera
recyclé dans New York, New York quelques années
plus tard.
Un règle dit qu'aucun réalisateur n'a de filmographie
parfaite. Elle prouve son exactitude et peut difficilement être
mise en doute quand on confronte la filmographie du maitre qu'est Martin
Scorsese à cet essai raté. Le réalisateur, n'ayant
pas encore appris à se doser et à maitriser pleinement
l'étendue de son talent, bombarde le spectateur de gros plans
et d'une trame sonore country agressante, tout en bâclant le résultat
final, surement pressé par des délais de production propres
aux B movies. Boxcar Bertha est un fiasco total qui
rappelle à tout cinéaste en devenir qu'il ne faut pas
s'asseoir sur ses lauriers. Le manque d'effort du réalisateur
transparait, car ce n'est qu'à la toute fin que tout le potentiel
de son génie finit par ressortir. La scène finale est
étonnamment violente mais réalisée avec finesse,
ce qui rend les quelques 92 minutes moins amères. Ce moment justifie
l'existence entière de l'oeuvre.
Véritable fiasco avec une lueur de génie, Boxcar Bertha
n'est certainement pas le film le plus accessible de Martin Scorsese
et son visionnement ne serait recommandé qu'aux fans curieux,
désirant se taper la totalité de l'oeuvre du cinéaste.
Autrement, ce film est ridiculement mauvais et agressant et ne fait
que confirmer que Roger Corman fut un grand homme dans l'histoire du
cinéma, mais beaucoup plus comme découvreur de talents
que comme producteur. Boxcar Bertha n'a rien d'un film signé
sous la griffe de Scorsese, c'est le mouton noir de sa filmographie,
le cheveux sur la soupe et la cerise manquante sur le sundae.
Version française : -
Scénario :
Joyce Hooper Corrington, John William Corrington
Distribution :
Barbara Hershey, David Carradine, Barry Primus,
Bernie Casey
Durée :
92 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
15 Mai 2005