THE BOX (2009)
Richard Kelly
Par Laurence H. Collin
Succès, quand tu nous tiens... Non, les dernières années
n’auront pas été particulièrement charitables
envers Richard Kelly, géniteur de l’insolite Donnie
Darko sorti au début de la décennie - œuvre
n’ayant d’ailleurs rien perdu de son magnétisme culte,
au passant. Même s’il aurait fallu des épaules beaucoup
trop larges à Kelly pour que celui-ci puisse soutenir les attentes
de son public suivant une réussite aussi retentissante, le consensus
général envers le bombastique et impertinent Southland
Tales, injures ayant débuté dès sa projection
à Cannes en 2006, lui aura tôt collé une étiquette
de fataliste incompris à la peau. Il n’aura fallu que d’une
succession ratissant (beaucoup) trop large pour cataloguer un cinéaste
en devenir et remettre sa longévité filmique en question.
Avec cette troisième réalisation et scénarisation
sur le terrain, difficile de savoir si les incrédules pourront
laisser une chance à cet inquiétant et disparate The
Box, bien que ses aficionados lui discerneront sans l’ombre
d’un doute de nombreuses vertus. Épaississant la nouvelle
Button, Button de Richard Matheson en curieux conte moral approchant
les 120 minutes, Kelly manoeuvre son entreprise d’apparence la
plus commerciale à ce jour en direction d’une résolution
âpre à souhait où la plupart des questions posées
se replient brusquement sur elles-mêmes.
Rien de bien inédit pour son concepteur, dirons-nous. Erreur.
Jusqu’à son dernier acte éparpillé tel qu’attendu,
The Box agence une montée dramatique parfois lourdement
émotive, mais aussi surprenante d’humanisme, se distanciant
nettement des aléas métaphysiques de Donnie Darko
ou du casse-tête assommant de Southland Tales. Les personnages
centraux au récit en sortiront - ou pas - estropiés par
leur propre nature et impuissants devant celle-ci. Si Kelly retrouve
la banlieue de Virginie en tant que théâtre des desseins
de la nature humaine comme il l’avait fait avec son célèbre
protagoniste adolescent, ses pantins mis à l’épreuve
prennent ici la forme d’un couple de parents dans la trentaine
durant les années 70. Beaux, éduqués, aimants,
Norma (Cameron Diaz) et Arthur (James Marsden) Lewis éprouvaient
néanmoins de sérieuses difficultés financières,
celles-ci obstruant potentiellement leur train de vie confortable jusqu’à
l’arrivée d’un visiteur bien étrange un après-midi
de la saison des fêtes. Arlington Steward (Frank Langella), chic
gentleman au visage à moitié brûlé lors d’un
incendie tragique, leur offre donc une petite boîte assez particulière
: simplement munie d’un bouton rouge, il leur indique que d’appuyer
sur celui-ci résultera en la mort d’une personne qui leur
est inconnue… mais qu’un million de dollars leur sera ensuite
livré. Rien ne se produira s’ils n’appuient pas dessus,
hormis la reprogrammation de la boîte et le transfert de l’offre
à un couple différent. Quelle que soit leur décision,
Steward se présentera de nouveau dans 24 heures pour réclamer
ladite boîte; débutera ainsi un dilemme éthique
qui ira chercher les fondements véritables des Lewis, pour le
meilleur et pour le pire.
Déjà adapté en un épisode de The Twilight
Zone en 1985, le texte original de The Box ne lui servira
finalement que de pilier narratif, dans la mesure où ses préoccupations
ne seront que subordonnées aux problématiques dans la
mire du réalisateur. Ainsi, au lieu d’orienter spéculations
sur quelles conséquences dépravées est-ce qu’une
personne aux principes en apparence charitables serait prête à
assumer en échange d’une somme d’argent généreuse,
Kelly les dirige vers un cadre manifestement plus fantaisiste. La question
sur laquelle son oeuvre élabore davantage s’avère
donc être : qui orchestrerait ce type de ‘‘test’’
moral et pour quelles raisons? Le scénario trouve conséquemment
en son antagoniste une figure fascinante, ce sinistre businessman porteur
de toutes les révélations possibles, mais parcimonieux
dans ses confidences. L’interprétation très maîtrisée
de Langella ajoute énormément au mystère entourant
le personnage en question, ainsi qu’à la machination lugubre
derrière ce dernier. Là où The Box marque
le plus de points sera donc incontestablement dans sa faculté
à glisser des informations au spectateur en ne dévoilant
qu’une image de trop, en n’insistant qu’une seconde
de plus que nécessaire sur un individu particulier - ou, au contraire,
en introduisant un immense tableau tout à fait anormal puis nous
laissant en tirer nos propres conclusions. Dur de déterminer
si ces procédés auront un effet captivant ou accablant
sur le spectateur, mais chose certaine, ils créent un lien effectif,
une énergie toute particulière joignant ceux-ci et l’écran
: qu’importe le degré de satisfaction que l’on tirera
du produit, qu’importent les balivernes qu’on tente de nous
faire entendre, il faut regarder cette histoire jusqu’à
la fin. Il le faut.
Si cet univers déjanté divulguant ses racoins petit à
petit donne froid dans le dos à plusieurs reprises, sa cohésion
générale laisse pourtant souvent à désirer.
On ne saurait blâmer l’excellente direction artistique d'Alec
Hammond, récréant l’atmosphère feutrée
de sa décennie sans inconvenances, ni la musique envoûtante
de Win Butler, Régine Chassagne et Owen Pallett (membres du groupe
montréalais Arcade Fire signant ici leur première trame
sonore, et avec succès). Non, les failles s’agrègent
plutôt dans la progression de l’intrigue, notamment lorsque
plusieurs petites invraisemblances passagères suspendent la vraisemblance
d’une scène entière ; l’on parle surtout ici
de réactions grossièrement décalées par
rapport au comportement humain, inclinaisons que même un scénario
aussi abracadabrant ne peut excuser. Rendu ici, impossible d’éviter
de citer les détours prolongés dans la possibilité
de l’implication de la NASA que celui-ci emprunte pour en fin
de compte pas grand-chose. Enfin, si Diaz et Marsden se révèlent
parfois étonnants de véracité dans leurs compositions
tourmentées d’un couple chevillé au rêve américain,
on ne peut en dire autant de leur accent sudiste inconsistant, élément
poussant malheureusement les plus attentifs au décrochage momentané.
Quiconque aura déjà visionné les deux opus précédents
de Kelly le saura très bien : dans son jeu, la patience est de
mise et elle n’est guère récompensée de façon
immédiate. Non pas que The Box fasse totalement exception
à cette règle, mais il est certain que beaucoup de spectateurs
se retrouveront davantage dans les portraits moins éthérés
des visages centraux que dans ceux des concepts anormaux sur deux pattes
qui avaient peuplé Donnie Darko et Southland Tales.
D’où un certain embrouillement à ressentir, passé
la première heure, lorsque ce qui semblait être un thriller
d’investigation bien troussé bascule vers le délire
paranoïaque bordé de surnaturel à la limite du ridicule.
Ainsi, affirmer que The Box représente le film ‘‘le
plus commercial’’ de son auteur ne veut peut-être
rien dire, mis à part le fait que ses pièces permettent
une bande-annonce et une campagne médiatique plus accommodée
aux goûts du grand public. Sinon, il y a fort à parier
que celui-ci aura comme premier instinct de rejeter cette vision morcelée
et intentionnellement discordante d’une Amérique individualiste
courant à sa propre perte. Les autres intéressés
pigeront sûrement dans cette boîte quelques morceaux de
valeur, à défaut d’en bâtir un tout harmonieux…
Version française : -
Scénario :
Richard Kelly, Richard Matheson (nouvelle)
Distribution :
Cameron Diaz, James Marsden, Frank Langella, James
Rebhorn
Durée :
113 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
18 Novembre 2009