THE BOURNE ULTIMATUM (2007)
Paul Greengrass
Par Jean-François Vandeuren
Les deux premiers épisodes des aventures de Jason Bourne détonnaient
considérablement du paysage actuel du cinéma d’action
hollywoodien de par la façon particulièrement adroite
dont ils trafiquaient les bases d’une prémisse déjà
bien connue du grand public pour solliciter autant les adeptes des productions
les plus musclées que les spectateurs à la recherche d’un
thriller d’espionnage bien ficelé. La nouvelle franchise
se démarquait également de par l’attention soutenue
qu’elle portait au développement psychologique de son personnage
principal et à la nature de l’ennemi auquel ce dernier
était confronté. La vie du protagoniste était ainsi
menacée par les mêmes individus qui en avaient fait un
soi-disant héros national ; de simples hommes en veston cravate
se terrant discrètement dans les coulisses du pouvoir et qui
n’avaient absolument rien à voir avec les milliardaires
mégalomanes qu’affrontait jadis un certain James Bond.
Troisième chapitre de la série, The Bourne Ultimatum
débute quelque mois avant la fin du second volet alors qu’un
Jason Bourne en piètre état tente tant bien que mal d’échapper
aux autorités russes. L’attention du personnage sera plus
tard attirée par le travail d’un journaliste britannique
dont les derniers écrits traitaient étrangement de son
cas et d’une mystérieuse opération portant le nom
de «Blackbriar». De nouveau hanté par les événements
de son passé, Bourne déterrera une fois de plus de l’information
que la CIA cherchera évidemment à garder secrète.
Le héros trouvera heureusement un certain appui au sein de l’organisation
alors que Pamela Landy (Joan Allen) se portera à la défense
de l’ancien agent en minimisant la portée des actions d’un
bureaucrate aux méthodes peu orthodoxes (David Strathairn) qui
semble lui aussi avoir plusieurs choses à cacher.
Le Britannique Paul Greengrass revient donc à la charge pour
un second tour de piste, lui qui avait succédé à
l’Américain Doug Liman au terme du premier épisode
pour signer la mise en scène du tout aussi percutant The
Bourne Supremacy. Il faut dire que la trame narrative édifiée
par Tony Gilroy demeurait sensiblement la même que celle qu’il
avait proposée pour The Bourne Identity, et force est
d’admettre que les choses n’ont pas tellement changées
à ce niveau pour ce troisième essais. Notre héros
continue ainsi de recoller les morceaux d’un passé trouble
entre quelques séquences de bagarres à couper le souffle
et de poursuites on ne peut plus destructrices. Heureusement, Greengrass
et son équipe de scénaristes trouvèrent le moyen
de peaufiner leur approche en lui injectant quelques nouvelles idées
et en précisant certains concepts déjà établis.
La particularité de la franchise n’a d’ailleurs jamais
été tant la forme de l’intrigue que la vigueur et
l’intelligence avec lesquelles elle était traitée
à l’écran. Faisant fi de tous les pièges
stylistiques et dramatiques qui auraient pu engourdir une telle course
effrénée, le réalisateur ancre à nouveau
son univers filmique dans la réalité en agrémentant
celui-ci de quelques pistes de réflexion sociale qui ne deviennent
jamais trop encombrantes ou simplement accessoires. The Bourne Ultimatum
explore ainsi d’une manière particulièrement sentie
la question de l’obéissance à l’intérieur
d’une hiérarchie militaire ou étatique dans laquelle
les pions se trouvant au bas de l’échelle sont parfois
contraints d’exécuter des ordres qu’ils ne peuvent
contester – consciemment ou non - au nom d’une justice et
d’un patriotisme cités à tort et à travers,
et souvent pour les mauvaises raisons.
Si l’essor d’une telle conscience sociopolitique s’effectuant
à même les bases du récit et de l’évolution
psychologique du personnage principal donne évidemment un tout
nouveau sens à la série, elle ne constitue malgré
tout qu’une infime partie de l’équation expliquant
la réussite phénoménale de ce troisième
épisode. La réalisation nerveuse à souhait, mais
parfaitement maîtrisée, de Paul Greengrass y est évidemment
pour beaucoup alors que ce dernier parvient de nouveau à soutenir
le rythme infernal auquel progresse l’intrigue sans jamais compromettre
l’approfondissement des divers enjeux internes et externes entourant
la quête de son protagoniste. Le réalisateur s’illustre
également de par la façon dont il s’éloigne
du modèle de mise en scène propre au nouveau cinéma
d’action tout en s’y référant continuellement,
nous exposant à la même surdose d’images que celle
à laquelle le genre nous a habitués au cours des dernières
années sans toutefois commettre les mêmes erreurs que bon
nombre de ses contemporains. La caméra de Greengrass filme ainsi
toujours quelque chose de concret alors que le prodigieux montage de
Christopher Rouse assure à l’ensemble une étonnante
fluidité, en particulier lors des séquences les plus mouvementées.
Le tout permet du coup au cinéaste britannique de mettre à
profit ses grands talents de raconteur visuel et d’élaborer
des scènes d’action tout ce qu’il y a de plus enlevantes,
mais qui ne s’avèrent jamais surchargées esthétiquement.
Greengrass n’écrase d’ailleurs jamais son effort
sous le poids d’une pile d’effets de style grossiers et
rehausse plutôt celui-ci d’une facture visuelle époustouflante
mariant d’une manière extrêmement habile les traits
du film documentaire et du cinéma d’auteur européen
à ceux des productions hollywoodiennes les plus bruyantes qui
soient.
The Bourne Ultimatum rencontre donc, et surpasse même,
haut la main les standards de qualité déjà très
élevés fixés par ses prédécesseurs.
Un triomphe qui s’explique notamment par l’obstination du
réalisateur et de son équipe de scénaristes à
ne jamais prendre le spectateur pour un être incapable de penser
par lui-même et à toujours chercher à stimuler autant
les sens que l’esprit. Alors que Matt Damon offre une fois de
plus une performance sans faille dans la peau d’un Jason Bourne
qu’il campe avec de plus en plus de conviction, Paul Greengrass
orchestre à nouveau une mise en scène instable et hyperactive
avec une minutie extraordinairement contradictoire. Le travail du cinéaste
britannique est d’ailleurs adéquatement divisé entre
le souci de réalisme de ce dernier, appuyé par la superbe
direction photo d’Oliver Wood, et sa volonté d’inscrire
son effort dans une certaine tradition du genre en ne se tournant vers
les différentes technologies numériques qu’en tout
dernier recours et en tirant ses effets sonores d’un répertoire
qui ne semble pas avoir été mis à jour depuis la
fin des années 80. Mais si le cinéma d’action demeure
un genre tout à fait pertinent lorsqu’abordé intelligemment,
il est surtout propice aujourd’hui à une sérieuse
remise en question de ses moindres mécanismes. The Bourne
Ultimatum se penche ainsi sur le statut d’un héros
dont les bases n’ont en soi plus rien d’homériques,
mais à la cause duquel nous ne pouvons néanmoins qu’être
sympathiques. Le cinéaste lui donnera d’ailleurs la chance
de renaître de ses cendres lors d’une finale judicieusement
précipitée, clôturant d'une manière on ne
peut plus appropriée cette trilogie tout à fait exceptionnelle
tout en préparant le terrain pour une éventuelle suite
des hostilités.
Version française : La Vengeance dans la peau
Scénario : Tony Gilroy, Scott Z. Burns, George Nolfi, Robert
Ludlum (roman)
Distribution : Matt Damon, Joan Allen, David Strathairn, Julia
Stiles
Durée : 115 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 21 Mars 2008
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