BOTTLE ROCKET (1996)
Wes Anderson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Si c'est Rushmore qui aura véritablement fait connaitre
Wes Anderson à un large public, son premier long-métrage
Bottle Rocket avait déjà attiré plusieurs
cinéphiles grâce à certaines des qualités
caractéristiques du style unique et charmeur du réalisateur
américain qui y étaient déjà en gestation.
Comédie mineure au demeurant extrêmement agréable,
Bottle Rocket intéressera sans doute quiconque ayant
apprécié les autres films d'Anderson, bien qu'il ne soit
pas du même calibre que ceux-ci, car on y sent l'auteur en devenir
travaillant déjà une esthétique et un ton qui lui
soient propres. Et c'est d'ailleurs cette griffe personnelle qui distingue
Bottle Rocket de la pléthore d'autres comédies
policières dont le scénario est franchement similaire.
Ce sont aussi les personnages attachants et pathétiques mis en
vedette par Anderson, exactement le genre d'excentriques socialement
ineptes qu'il chérit tant, qui ajoutent au cachet du film. Ainsi,
Bottle Rocket suit les allers et venues d'une bande de criminels
amateurs dirigée par un éternel enfant peu dégourdi
(Owen Wilson) qui se vante d'être en contact avec des professionnels
du domaine afin de regagner la confiance de son meilleur ami (Luke Wilson),
récemment sorti d'un institut psychiatrique. Après un
coup réussi, nos brigands de bas-étage se sauvent au Mexique
où la relation précaire qui les unis tous s'envenime sérieusement.
S'il peut sembler étrange qu'Anderson et son co-scénariste
Owen Wilson aient décidés de raconter une traditionnelle
histoire de voleurs en cavale pour lancer une carrière qui s'est
par après poursuivie depuis dans une direction beaucoup plus
personnelle et atypique, c'est que cette petite aventure somme toute
anodine n'est qu'un prétexte pour parler d'amour et d'amitié
sur ce même ton mélancolique et amer qui anime leurs autres
projets. De toute façon, Anderson se spécialise en fin
de compte dans la subversion subtile des archétypes cinématographiques
mille fois racontés. Rushmore était un triangle
amoureux et The Royal Tenenbaums l'histoire d'une réconciliation
familiale. À bien y penser, il n'y a rien de bien original à
tout cela. Toute la différence, chez lui, se trouve dans le regard
franchement zen qu'il pose sur les malheurs de ses personnages ainsi
que l'incroyable compassion dont il sait faire preuve envers eux.
Bien sûr, Bottle Rocket demeure de loin le moins excentrique
des films de son réalisateur ne serait-ce que par sa facture
visuelle. On est par exemple bien loin du cadrage toujours trop bien
centré de The Royal Tenenbaums. Une fois cette évidence
acceptée, Bottle Rocket réserve tout de même
de bons moments, quelques rires francs et se présente comme une
comédie sensible qui sort finalement des sentiers battus sous
certains aspects. Ses protagonistes sont finement dessinés et
mis dans des situations qui leur permettent d'évoluer d'une façon
intéressante. Ne voilà-t-il pas un accomplissement en
soi? Dans un univers où le cinéma est plus souvent qu'autrement
mécanique et froid, Anderson offre avec Bottle Rocket
un premier film fondamentalement humain.
Cette humanité chaleureuse, par définition, n'est pas
exempte de défauts. Le rythme placide nécessaire au bon
fonctionnement de Bottle Rocket en ennuiera sans doute certains
qui pourraient aussi accuser le film de ne finalement mener à
rien. Ainsi va la vie qui va... De toute façon, dans l'univers
intimiste de Wes Anderson, le voyage est une finalité en soi.
Et si Bottle Rocket n'est pas un film aussi remarquable que
ses successeurs, c'est un premier pas convaincant et confiant pour cet
iconoclaste américain dont le cinéma dresse déjà
tout en finesse des portraits doux-amers fort réussis. Le coeur
qui bat derrière Bottle Rocket est déjà
palpable, et cette honnêteté, cette authenticité
remarquable, est la valeur inestimable qui fait du réalisateur
un atout marqué du paysage indépendant actuel.
Version française :
Bottle Rocket
Scénario :
Owen Wilson, Wes Anderson
Distribution :
Luke Wilson, Owen Wilson, Ned Dowd, Shea Fowler
Durée :
92 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
1er Janvier 2005