BORDERLINE (2008)
Lyne Charlebois
Par Jean-François Vandeuren
Atteinte du trouble de la personnalité borderline, Kiki (Isabelle
Blais) est souvent d’humeur instable. Son manque de confiance
en elle et sa grande dépendance affective n’aide pas non
plus son cas auprès des personnes du sexe opposé avec
qui elle n’arrive pas à entretenir de relations saines
et viables. Comme plusieurs individus dans sa situation, Kiki n’a
pas eu une enfance facile ; élevée par une grand-mère
au passé trouble qui essaya tant bien que mal de combler l’absence
d’un père dont elle fut volontairement éloignée
et d’une mère que l’on hospitalisa pour troubles
psychiatriques. Après avoir négligé pendant des
années sa propre existence au profit d’ébats sexuels
hasardeux et de consommations excessives d’alcool, la jeune femme
se retrouve aujourd’hui au début de la trentaine, perdue
quelque part entre l’ébauche d’un roman qu’elle
n’arrive pas à terminer et l’idylle purement physique
qu’elle entretient de peine et de misère avec son directeur
de maîtrise. Voyant la date de remise de son mémoire approcher
à grands pas, Kiki tentera de rendre son projet un peu plus utile
à sa propre cause en se servant de ses écrits pour méditer
sur les événements de son passé. Une profonde introspection
qui lui fera évidemment déterrer plusieurs souvenirs particulièrement
douloureux qui l’éloigneront à nouveau de l’équilibre
vital et psychologique tant convoité. Heureusement, sa rencontre
fortuite avec un sympathique boulanger n’étant aucunement
intimidé par le « danger intime » qu’elle semble
représenter pourrait bien lui permettre de goûter enfin
à un rythme de vie un peu moins mouvementé... Si elle
ne fiche pas tout en l’air avant le temps, bien entendu.
Figure reconnue de l’univers télévisuel québécois,
la réalisatrice Lyne Charlebois nous propose enfin un premier
long-métrage de fiction. La cinéaste aura d’ailleurs
pris les bouchées doubles pour sa première incursion au
grand écran en s’attaquant à l’oeuvre de la
romancière Marie-Sissi Labrèche, avec qui elle rédigea
conjointement la présente adaptation des romans Borderline
et La Brèche. Récit à forte teneur autobiographique,
Borderline démontre à la base une compréhension
aiguisée des enjeux psychologiques et des nombreuses contraintes
existentielles avec lesquelles doivent composer quotidiennement les
individus souffrant d’un tel trouble de la personnalité,
dont le personnage d’Isabelle Blais affiche en soi presque tous
les symptômes. À défaut d’être très
subtil, ce portrait exhaustif s’étend tout de même
bien au-delà de ses propres barrières académiques
pour finir par avoir une incidence directe sur la forme même de
l’effort. Le duo s’intoxiqua ainsi de l’instabilité
et de l’imprévisibilité de sa protagoniste pour
édifier un scénario non-linéaire dans lequel se
côtoient constamment (parfois même trop, d’ailleurs)
temps passé et présent tout en agençant efficacement
la plume particulièrement éclatée de l’auteure
à l’approche esthétique plus racée de la
réalisatrice. Issu du monde du vidéoclip et de la publicité,
Charlebois signe une mise en scène à la fois discrète
et tonitruante regorgeant d’idées visuelles et narratives
somme toute audacieuses, mais auxquelles il manque définitivement
de nuance. La principale faute de la cinéaste aura été
dans ce cas-ci de chercher à conserver une certaine constance
stylistique tout au long du récit sans que l’initiative
ne soit forcément indispensable au bon développement de
l’intrigue et des principaux personnages.
Il faut dire que le scénario de Borderline est en soi
un cas un peu spécial, en particulier dans le paysage actuel
du cinéma québécois. Telle que racontée
par Lyne Charlebois et Marie-Sissi Labrèche, la trépidante
histoire de Kiki réclamait évidemment une certaine exubérance
sur le plan visuel. Dans cette optique, la mise en images proposée
par la réalisatrice s’avère tout à fait convenable
et s’imprègne superbement de l’état d’esprit
insaisissable dans lequel devait nous plonger un tel récit sur
papier, mais elle reproduit aussi les mêmes erreurs. Ainsi, si
les prouesses techniques et narratives de Charlebois s’avèrent
parfois renversantes, la cinéaste a malheureusement tendance
à étirer inutilement la sauce et à répéter
les mêmes stratagèmes de façon outrancière.
Et c’est précisément ce manque de retenue qui fait
le plus mal à l’ensemble au bout du compte, car les séquences
les plus accomplies du film finissent par perdre de leur force et de
leur résonance aux abords de celles dans lesquelles tous ces
effets de style sont utilisés à des fins beaucoup plus
spectaculaires que substantielles. Un faux pas qui est en soi attribuable
au fait que la cinéaste a visiblement conservé quelques
tics de ses diverses expériences en publicité, auxquels
elle remédie la plupart du temps pour colmater certains trous
qui auraient très bien pu rester béants. De vieux réflexes
qui se font notamment sentir au niveau sonore alors que l’essai
est là aussi divisé entre la voluptueuse bande originale
de Benoît Jutras et les insertions maladroite ici et là
de tubes radiophoniques trouvant difficilement leur place dans un ensemble
aussi fragile et éclectique.
La réalisatrice sera donc parvenue à faire son nid au
sein de la petite famille du cinéma québécois en
commettant toutefois quelques erreurs de débutant qui auraient
pu facilement être évitées. Lyne Charlebois aurait
ainsi gagné à faire quelques compromis en concentrant
davantage l’action de son film à l’intérieur
d’une seule et même temporalité et en suggérant
un peu plus les événements propres au passé de
son personnage principal, sans forcément évacuer le côté
plus provocateur et explicite de sa mise en scène, qui est ici
nécessaire à la dynamique de l’effort. Si l’idée
de faire de Kiki la seule et unique narratrice du récit est en
soi un choix logique vues les circonstances, la progression du récit
demeure néanmoins quelque peu laborieuse alors que bien des personnages
secondaires sont soit sous-développés, soit introduits
beaucoup trop tardivement dans le récit. Pourtant, c’est
étrangement en écartant ces enjeux d’une manière
un peu malhabile que le duo aura pu édifier la plus belle histoire
d’amour qu’il pouvait nous proposer : celle de soi-même.
La cinéaste québécoise se révèle
également une directrice d’acteurs hors pairs alors qu’Angèle
Coutu et Sylvie Drapeau se révèlent prenante aux côté
d’une Isabelle Blais qui brille de tout feu dans un rôle
aussi touchant qu’éclatée. Comme sa protagoniste,
Charlebois ne pourra que sortir grandie d’une telle expérience,
laquelle lui permettra sans l’ombre d’un doute d’ajouter
les quelques cordes à son arc qui lui manquait jusque-là
pour réaliser une oeuvre un peu plus complète, et surtout
plus précise.
Version française : -
Scénario :
Lyne Charlebois, Marie-Sissi Labrèche
Distribution :
Isabelle Blais, Angèle Coutu, Jean-Hugues
Anglade, Sylvie Drapeau
Durée :
111 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
5 Mars 2008