BOOK OF BLOOD (2009)
John Harrison
Par Mathieu Li-Goyette
Fidèle apprenti de Romero et en partie responsable de la série
Tales from the Darkside et Tales from the Crypt, les
antécédents de John Harrison trahissent ses influences
et incombent le cinéaste à faire de son Book of Blood
un film à la hauteur des attentes démesurées que
représente ce premier et dernier segment de la saga homonyme
de l’écrivain anglais Clive Barker. Basé strictement
sur les nouvelles Book of Blood et On Jerusalem Street,
le dernier film de Harrison aborde une histoire d’esprits des
plus morbides et qui aura value à Barker sa consécration
au sein d’un premier palmarès de la littérature
fantastique aussitôt encensée par la critique et Stephen
King. Si la nouvelle principale s’étendait à peine
sur une douzaine de pages, l’oeuvre de Harrison a pourtant le
défi bien plus relevé que d’exercer sur son propre
médium la même remise en question qui pousse Barker à
faire de la littérature en soi l’ennemi de son propre lectorat.
« Les morts ont des histoires et il faut les écouter »
est le crédo de cette expérience tentant de tisser un
pont entre notre monde et l’au-delà à l’aide
d’un jeune prodige charlatan qui sera la proie d’un cri
du coeur venant de ces fantômes et gravera à vif et par
milliers de minuscules écritures dans la peau du jeune McNeal.
Livre de sang maudit et vivant, en débutant sa collection de
contes de la sorte, Barker établissait une thématique
récurrente par rapport à la valeur de l’écriture,
de la descendance et des secrets cachés dans des pages immémoriales
rejoignant à la fois l’abime lovecraftienne et la distinction
de la littérature victorienne. Bref, alors que l’écrivain
consacre son livre comme l’objet même d’une communication
avec un monde peuplé par des visions d’horreurs par le
biais d’une distanciation, Harrison se retrouve avec le défi
tout cinématographique d’apposer à la pellicule
la même teinte de damnation. Parallèlement, à la
manière de l’auteur, l’éveil des morts s’avère
symboliquement relié à l’éveil du désir
de la professeur de parapsychologie envers son étudiant surdoué.
Une relation interdite qui se développe sous les yeux d’un
tierce personnage jaloux, un comportement exhibitionniste de la part
de l’étudiant et les rêves sans cesse fantasmés
par Mary convoquent ensemble un appel à la perversité
et au réveil des forces et des histoires qui ne doivent jamais
s’aventurer du côté des vivants. Pratiquement tourné
en vase clos avec ses trois protagonistes, Book of Blood est
une scénette d’horreur où l’espace bien cartographié
par le cinéaste sert rapidement de stratégie narrative
en explicitant la tension du triangle amoureux.
Servi par une photographie bien glauque, l’aspect atmosphérique
(au sens pictural du terme) de la demeure hantée sert de rideau
de théâtre aux apparitions spontanées des cobayes
qui s’effraient mutuellement. De l’ombre à la pénombre
à la lumière tamisée, les sombres recoins de la
maison sont garants d’un obscène irregardable qui scelle
le passé terrible de l’endroit et de ses habitants en quelque
part au royaume des morts. Comme chez Tourneur (dont le cinéaste
avoue lui même la pérennité), le son hors-champ
représente toujours le meilleur outillage pour tirer profit du
pouvoir de la suggestion alors que comme chez Wise, deux degrés
de terreurs se chevauchent à l’avantage d’un effroi
exercé subitement entre les personnages (où l’ombre
«matérielle» de leur comparse provoque la peur) et
d’une violence explicite à même les corps de ceux-ci
(où la conception « abstraite » des esprits se matérialise
avec véhémence sur des êtres bien concrets). Si
le paysage des morts conçu par Barker lui-même (à
lire dans l’entrevue que nous avons conduit avec John Harrison)
brise quelque peu le momentum atteint par l’ultime sacrifice de
McNeal aux morts, l’efficacité visuelle avec laquelle la
scène est abordée parvient toutefois à contourner
les évidentes limites budgétaires du film pour illustrer
le carrefour des morts où chacun sort des entrailles de ce monde
parallèle pour divulguer son histoire sur le corps de McNeal.
Ces histoires racontent celles du Midnight Meat Train de Kitamura,
du récent Dread de Diblasi et assurément des
autres adaptations de Barker à venir.
Porte d’entrée vers une nouvelle vague dans le cinéma
d’horreur indépendant ou simple tendance vers un cinéma
gore différemment interprété, il en reste que l’adaptation
de Book of Blood reste strictement fidèle à l’esprit
disjoncté de l’écrivain. Visiblement au service
du manuscrit original, Harrison a su façonner un récit
élégant qui ne manque pas de verve et auquel la réalisation
classique assurée permet facilement de capter l'essentiel de
la nouvelle originale. Laboratoire où les pêchés
de la tentation sont les plus transgressés (et toujours les plus
punis selon l’auteur puisqu’aussi les plus tentant), Book
of Blood a le défaut de peut-être nécessiter
la lecture a priori de la courte histoire ou du moins la faculté
de désamorcer cette attente sur laquelle se base la vente du
film d’horreur moderne. De façon beaucoup plus intéressante
un drame de moeurs aux finalités démesurées, il
y a dans ce dernier film de Harrison une impression de le vieille école
du cinéma fantastique des années 60 et 70 qui fait plaisir
à retrouver alors que l’esthétique de convenance
réduit à petit feu l’intérêt du film
d’horreur souvent épargné et toujours blotti dans
sa cachette du cinéma de divertissement. Book of Blood
rappelle qu’il y avait bien une époque où la simplicité
d’une narration bien maîtrisée et l’écriture
de personnages plausibles servaient le film et son spectateur. L’aspect
pornographique qu’entreprend trop souvent ce genre chéri
s’avère aujourd’hui le vendeur par excellence d’une
industrie des corps souillés où la tentative cependant
louable de Harrison à la précision, la méthode
et la fidélité du scribe à retranscrire des caractères
finement peaufinés sur un canevas d'épiderme trouvera
le temps bien long entourée du gribouillis incessant du reste
de la production. Dommage, mais le mal sera nécessaire si l'on
veut un jour encore pouvoir rêver du cinéma d'horreur à
l'extérieur des préceptes du cliché et de la recette
banquable.
Version française : -
Scénario : John Harrison, Darin Silverman, Clive Barker
(nouvelle)
Distribution : Jonas Armstrong, Sophie Ward, Paul Blair, Doug
Bradley
Durée : 100 minutes
Origine : Royaume-Uni
Publiée le : 17 Juillet 2009
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