BONZAÏON (2004)
Danny Gilmore
Clermont Jolicoeur
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Certains diront que le Québec renoue avec le cinéma-direct
et d'autres que c'est l'avènement de la télé-réalité
qui a propulsé ce genre de cinéma sous les feux des rampes.
On rationalisera que c'est en réaction à l'inflation des
couts de production du cinéma américain que l'on a commencé
à affectionner un cinéma plus modeste et amateur. Mais
c'est surtout l'effervescence constante dans le domaine de la technologie
numérique qui est responsable de cette vague de cinéma
DIY qui secoue actuellement le Québec jusque dans ses réseaux
de distribution traditionnels. Des films tels que La Planque,
Comment devenir un trou de cul et enfin plaire aux femmes et
La Dernière incarnation ont, dans les dernières
années, su trouver un public étonnamment imposant malgré
les minces moyens de production dont ils ont bénéficié.
Le Bonzaïon de Danny Gilmore et de Clermont Jolicoeur
s'inscrit dans cette nouvelle vague de cinéma tourné à
la va-vite en format DV et utilise comme principal argument de vente
son budget ridicule de 10,000$. Mais peut-on tout pardonner à
un film sous prétexte qu'il a été produit sans
un sou? C'est la question que soulève involontairement Bonzaïon
de par les réactions critiques quelques peu exagérés
duquel il fut l'objet à sa sortie. Par réflexe, on porte
un regard empli de sympathie et de pitié sur ce petit thriller
construit sur la charpente du film de gangster nouveau genre tel que
pratiqué par Guy Ritchie et ses acolytes britanniques tous plus
cools et branchés les uns que les autres. C'est un terrain encore
assez peu exploré par le cinéma québécois,
à ce jour toujours allergique aux films de genre, qui avait cependant
été assez bien défriché par La loi du
cochon d'Érik Canuel.
Admettons-le d'emblée, ce dernier avait quinze fois le budget
du film de Clermont et Jolicoeur. Mais il bénéficiait
aussi d'un scénario oh combien plus solide et de dialogues franchement
mieux fichus, deux qualités primordiales qu'aucun alibi financier
ne peut restituer à ce Bonzaïon correct mais franchement
peu inspiré. On ne peut qu'applaudir ces cinéastes débrouillards
qui ont su assembler une distribution étonnante autour d'un projet
aussi brouillon et force est d'admettre que l'on a déjà
vu bien pire sortir des usines hollywoodiennes. Mais cette suite de
péripéties vaguement rocambolesques et de transactions
à main armée tournant autour d'un gros magot en marijuana
fonctionne vraiment de peine et de misère. Si les pivots sont
cohérents et que le scénario multiplie les personnages
sans plonger le spectateur dans la confusion la plus totale, l'ensemble
souffre malgré tout de son franc manque d'originalité.
Avions-nous vraiment besoin de voir un autre film de pot et de magouilles
qui tournent au vinaigre? Le scénario, pourtant, esquisse en
filigrane quelques sentiers intéressants sur lesquels il n'ose
jamais s'engager de plein pied.
Reste cet amateurisme flagrant embrassé par les réalisateurs
comme s'il s'agissait d'une signature stylistique en soi, cette absence
absolue d'illusion cinématographique que certains vanterons comme
s'il s'agissait d'une facture réaliste. Mais en y pensant bien,
Bonzaïon souffre d'une absence totale de sens esthétique
qu'il tente de vendre comme s'il s'agissait d'une anti-esthétique
presque revendicatrice. Est-ce tellement laid que c'en est courageux?
C'est surtout paresseux, à l'image de l'humour du film. Un caméraman
à l'oeil plus aiguisé aurait pris des plans plus inspirés
gratuitement et sans supplément. Un monteur plus compétent
aurait surement coupé dans le gras de plus d'une de ces nombreuses
scènes s'étirant trop longuement en plus d'éviter
ces damnées transitions numériques qui devraient tout
bonnement être retirées des logiciels de montage si l'on
persiste à les utiliser avec aussi peu d'ingéniosité.
Franchement, il est très plaisant de voir qu'un petit film comme
Bonzaïon peut se retrouver en salle au Québec et
être distribué à grande échelle en DVD. Cette
voie nouvelle sur laquelle semble vouloir s'engager un certain cinéma
québécois totalement indépendant et peu dispendieux
pourrait à long terme donner des résultats surprenants
et permet déjà à de jeunes créateurs de
s'exercer dans un cadre sérieux. Toutefois, ce Bonzaïon
est au mieux un exercice raté. Jean Leloup est merveilleusement
divertissant en gérant d'artistes véreux mais franchement
minable en tant qu'acteur. Le reste du film est à son image,
sympathique mais peu convaincant. Soit, cette expérience particulière
n'est pas très concluante. Mais il ne faut pas baisser les bras
pour si peu. Persistons à consommer et donc à encourager
ce cinéma marginal et mal financé. Gageons qu'à
long terme, on y récoltera une vraie trouvaille fraiche, audacieuse
et astucieuse.
Version française : -
Scénario :
Danny Gilmore, Clermont Jolicoeur
Distribution :
Carl Béchard, Emmanuel Bilodeau, Normand
D'Amour, Danny Gilmore
Durée :
87 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
11 Novembre 2005