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LES BONS DÉBARRAS (1980)
Francis Mankiewicz

Par Nicolas Krief

On ne peut que saluer bien bas les talents de Réjean Ducharme, cet auteur mythique de notre petite mais tout de même riche culture littéraire. Sa plume a marqué bien des imaginaires dans la francophonie et, en 1980, Francis Mankiewicz et Michel Brault lui donnèrent une image, une représentation visuelle effectivement surprenante, mais parfaitement ajustée à la poésie de cet écrivain de génie. Les Bons débarras explore avec doigté des relations humaines complexes et presque surréalistes, évitant de les intellectualiser et de leur faire perdre leur subjectivité.

L’univers poétique de Ducharme prend vie dans une petite ville des Laurentides où Manon (Charlotte Laurier), sa mère Michelle (Marie Tifo) et son oncle Guy (Germain Houde) tiennent une petite affaire de bois de chauffage. Gravitent autour d’eux Maurice et Gaétan, l’un policier, amant de Michelle, l’autre mécanicien et ami de la famille. Guy, bien qu’il soit le frère de Marie, est en quelque sorte le deuxième enfant ; simple d’esprit, c’est lui qui accomplit les tâches lourdes de leur travail, ainsi que les livraisons. Celles-ci sont principalement effectuées chez madame Viau-Vachon, une belle bourgeoise dont Guy est profondément amoureux.

Dans ce portrait d’une petite communauté rustique, qui semble sortir tout droit de Deliverance de John Boorman, toute l’attention tourne autour de Michelle. Cette mère monoparentale incarne toute l’émancipation féminine des années 1970 ; un féminisme qui n’a pas encore été véritablement réfléchi, qui laisse toute la place aux libertés récemment acquises et qui tente d’oublier ses responsabilités, comme s’il devait passer par l’adolescence avant d’atteindre la maturité. Prise entre son amant, de qui elle est enceinte, et sa fille, qui exige d’elle un amour totalement exclusif, Michelle essaie d’affirmer son indépendance, tout en combattant son alcoolisme. Chose extrêmement ardue, puisque Manon, qui doit prendre les rênes du ménage, n’est en fin de compte qu’une enfant aimant profondément sa mère.

Cette dépendance affective envers sa mère, Manon la vit intensément, éliminant les obstacles qui se dressent entre elle et Michelle. Frustrée de voir des hommes demander de l’affection à sa mère, elle les évacuera, accusant l’un de viol, poussant l’autre au suicide. Cette finale en dit long sur la relation malsaine qu’entretiennent Manon et Michelle, sur la manière dont la mère a élevé son enfant. C’est en fait Manon la maîtresse de maison, alors qu’elle dit à sa mère de ne pas rentrer tard et prend toutes les responsabilités de la maison. Elle exécute des tâches ménagères pendant que Michelle sort avec son amant.

Les Bons débarras impressionne à la fois grâce à ses magnifiques dialogues, mais aussi parce que la mise en scène de Francis Mankiewicz sert de contre poids au surréalisme des personnages. Le cinéaste offre une réalisation simple et sobre, aux antipodes de l’écriture éclatée de Ducharme. Michel Brault, fidèle à lui-même, signe une direction photo magnifique qui respecte le ton de la mise en scène. Rien de léché ou de tape-à-l’œil dans son travail, seulement des images finement étudiées et superbes.

Le texte de l’auteur de La Vallée des avalés n’aurait sans doute pas traversé aussi bien l’épreuve du temps sans avoir été porté par une distribution de premier ordre. Le jeu de Charlotte Laurier est resté gravé dans la mémoire collective des Québécois comme une des grandes interprétations de notre cinéma, et avec raison. La jeune fille, alors âgée de 14 ans, donne l’impression d’être une femme dans le corps d’une petite fille, en même temps qu’une enfant triste et seule dans un monde qu’elle ne comprend pas. Marie Tifo impressionne par son jeu d’une jeune femme désinvolte doublée d’une mère à l’instinct maternel chancelant. Mais de tous ces acteurs de haut niveau, c’est Germain Houde qui offre la performance la plus fascinante. À peine un an après son entrée dans le septième art (dans le rôle du terrifiant violeur de Mourir à tue-tête), Houde, pour son second rôle, entre dans la peau d’un personnage aux émotions complexes. Guy, contrairement aux autres personnages, ne s’exprime pas avec des mots, mais par le regard et les gestes, et Germain Houde ajoute aux agissements de Guy une intensité déroutante. Il serait d’ailleurs très intéressant de consulter le scénario original pour découvrir de quelle façon Ducharme décrivait Guy.

Bref, un casting de rêve pour un des plus grands films de notre répertoire. Un peu comme Léolo, Les Bons débarras est une œuvre qui ne s’inscrit dans aucune véritable tendance ; il suit la période féministe et précède le cinéma majoritairement comique tel que nous le connaissons encore. Il n’a pas non plus les caractéristiques requises pour s’inscrire dans le cinéma direct. C’est donc une œuvre singulière et complètement à part. Le film s’est classé dans le « top 3 » de la plupart des palmarès du cinéma québécois et continue de fasciner les cinéphiles de tous âges.




Version française : -
Scénario : Réjean Ducharme
Distribution : Charlotte Laurier, Marie Tifo, Germain Houde, Louise Marleau
Durée : 120 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 28 Mai 2008