BLOOD TEA AND RED STRING (2006)
Christiane Cegavske
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Treize. C'est le nombre d'années qu'a consacrées l'artiste
visuelle Christiane Cegavske à la création de Blood
Tea and Red String, film d'animation étrange et hautement
personnel infusant le conte de fées classique de toutes sortes
de visions à la fois traumatique et fantasque. Durant treize
ans, l'Américaine aura littéralement vécu dans
son oeuvre. Son domicile sera devenu l'atelier dans lequel elle a confectionné
ce petit objet artisanal échappant quelques gouttes d'acide dans
le thé que buvait l'adaptation animée de The Wind
in the Willows élaborée par la firme Cosgrove Hall
dans les années 80. Si le film de Cegavske renoue avec l'atmosphère
champêtre de même qu'avec les techniques d'animation de
ce véritable chef-d'oeuvre de la télévision pour
enfant, il insuffle par contre à cet univers une sensibilité
adolescente troublée.
Il faut accepter Blood Tea and Red String en tant que véhicule
d'expression personnelle indissociable de sa créatrice pour l'approcher
correctement. Si la couverture et les illustrations l'ornant donnent
de prime abord l'impression d'ouvrir un livre de contes, c'est un journal
intime surréaliste que nous découvrons à la suite
d'une inspection plus soigneuse des pages jaunies de ce recueil vieillot.
Certains associeront sans doute cet essai aux divers projets animés
de Tim Burton tandis que d'autres parleront de sensibilités similaires
à celles de Lynch, mais ce que propose Blood Tea and Red
String relève finalement d'un monde distinct de celui du
cinéma. Ses références sont celles d'un imaginaire
particulier, avec ce que cela implique de qualités et de défauts.
Des souris aristocrates demandent à une famille paysanne de créer
une poupée. Lorsque celle-ci est enfin terminée, ses créateurs
refusant de s'en départir décident de chasser les souris.
Au cours de la nuit, celles-ci volent cette créature qui, croient-elles,
leur revient de droit. Consternés, les artisans campagnards quittent
au matin leur chêne pour partir à la recherche de cette
poupée pour laquelle ils ont développé une authentique
affection.
Bien qu'il soit légèrement inégal, Blood Tea
and Red String peut également être envoûtant
au plus haut point. Il s'agit d'une expérience assez unique,
dont les images les plus inspirées sont merveilleusement marquantes,
dont certains des passages les plus étranges sont carrément
hypnotiques. Blood Tea and Red String, c'est un peu l'inverse
de tous les autres films fantastiques du moment. C'est cette adaptation
inexistante du Seigneur des Anneaux se concentrant sur l'épisode
Tom Bombadil du roman original de Tolkien ainsi que sur tous ces passages
où les héros voyagent des pages durant sans que rien se
passe. Le film de Cagevske privilégie la création d'un
univers et d'une atmosphère englobante au profit même des
péripéties.
Si aucun thème particulier n'est abordé de front, cette
oeuvre complexe révèle plusieurs obsessions assez évidentes
: la notion de famille y est complètement éclatée
et l'amour foncièrement torturé, les divisions sociales
clairement marquées et la bourgeoisie décadente et capricieuse.
Mais bien que Blood Tea and Red String soit à un certain
niveau un exutoire passionné, c'est d'abord une oeuvre affectueusement
conçue par un coeur d'enfant désenchanté. Les personnages
secondaires sont ainsi marqués par cette naïveté
propre aux histoires inventées par un jeune esprit s'amusant.
Ce ballet muet, mais musical propose une fantaisie gothique dont les
différentes scènes sont aussi mémorables qu'émouvantes.
Malgré ses défauts, Blood Tea and Red String
est une oeuvre remarquable où l'imaginaire et la détermination
triomphent. Oeuvre patiente fourmillant d'une multitude de détails,
cette créature étrange vient jouer dans les plates-bandes
brumeuses du conte tout en révélant une vision beaucoup
plus personnelle qu'universelle du monde. Blood Tea and Red String
est une oeuvre chaleureuse et ingénieuse dont la beauté
est tout sauf plastique. Les marionnettes de Christiane Cegavske sont
animées par une réelle étincelle de vie et, pour
cette raison, nous sommes prêts à pardonner à cette
oeuvre ses erreurs formelles. Ce n'est pas à tous les jours qu'un
film nous replonge en enfance avec le recul de l'âge adulte.
Version française : -
Scénario :
Christiane Cegavske
Distribution : -
Durée :
69 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
19 Juillet 2006