THE BLIND SIDE (2009)
John Lee Hancock
Par Laurence H. Collin
Nul ne saurait démentir le fait que l’appellation ''Based
on the extraordinary true story'' rejoint les plus imposantes triques
brandies par le moteur hollywoodien. Son libellé subséquent,
dur comme le roc, ne cesse de réaffirmer sa fiabilité
année après année grâce à son cargo
le plus profitable : l’édifiant drame sportif "inspiré
de faits vécus". Cette fonction du septième art de
restituer un fait divers mouvant sous forme de fiction narrative bien
classique demeure donc toujours aussi prisée - ou plutôt
toujours aussi lucrative, à en constater les entrées colossales
générées par The Blind Side depuis sa
sortie en salles. Sans même avoir eu droit à un engouement
particulier avant de saturer les écrans partout en Amérique
du Nord, la version filmique du livre de Michael Lewis relatant ce parcours
de Cendrillon réservé au jeune Michael Oher, maintenant
joueur dans la NFL, aura, certes, su faire déboucher plusieurs
bouteilles de champagne chez Alcon Entertainment, ceux-ci les poches
bien remplies et gratifiés de deux mises en nominations pour
la prochaine course aux Oscars. Encensements plutôt curieux, à
cet effet, pour un projet d’envergure aussi peu ambitieuse et,
disons-le, aux vocations d’apparence assez marchandes. L’auteur
de ces lignes aura conséquemment cru bon laisser le bénéfice
du doute à une oeuvre lui étant d’un intérêt
franchement limité, puisque le mérite, et cela va de soi,
peut fort bien se retrouver même dans les exercices les plus coutumiers.
Peu d’émerveillements seront donc suscités par The
Blind Side aux yeux d’un public plus demandant, mais on ne
saurait vraiment faire preuve de mépris envers une machine aussi
bien huilée. Success Story au charme plutôt désuet
et aux faux pas somme toute mineurs, le film de John Lee Hancock (The
Rookie et The Express, productions de la même filiation)
présente un écartement spontané de toute problématique
à caractère sociétal. Bien conscient de ses thématiques
toujours aussi actuelles (contraste des réalités raciales,
responsabilité parentale, reconnaissance des intelligences multiples,
etc.), mais déjà longuement exploitées au grand
écran, The Blind Side parvient à détourner
avec une dextérité redoutable toute forme de discours
péremptoire sur l’Amérique petite-bourgeoise vis-à-vis
ses ghettos périurbains. L’histoire débute donc
du côté de Michael Oher (Quinton Aaron), colosse adolescent
noir au rendement académique à la limite du catastrophique.
Fréquentant la même école chrétienne que
les enfants de Leigh Anne Tuohy (Sandra Bullock), Michael se verra offrir
un toit et un repas chaud par cette dernière un soir où
elle le verra errer dans les rues de Memphis. Leigh Anne parviendra
à extirper la vérité sur sa situation, découvrant
qu’il est en fait itinérant, affamé, et qu’il
porte les seuls vêtements qu’il possède. Après
avoir consulté son mari Sean (Tim McGraw) - c'est-à-dire
en l’informant de sa décision et en lui laissant le grand
privilège d’acquiescer à son choix - Leigh Anne
adoptera Michael comme membre permanent de la famille, l’encourageant
éventuellement à poursuivre son rêve de devenir
bloqueur gauche dans l’équipe de football de son collège.
Celui-ci se démarquera par son talent incroyable, devenant rapidement
l’un des joueurs les plus sollicités de sa région.
Le seul obstacle colmatant l’obtention d’une bourse d’études
considérable sera sa moyenne de classe très faible ; les
Tuohy engageront alors Mrs. Sue (Kathy Bates) comme tutrice afin d’augmenter
ses notes, malgré leurs différends politiques - la réaction
de Leigh Anne lorsque Mrs. Sue lui confie ''I'm a democrat''
renvoie d'ailleurs bien cette opposition idéologique, même
si le film est vite rentré, vite sorti de ces lieux. On ne vendrait
pas la mèche en affirmant que le destin de Michael Oher, malgré
son passé sombre et quelques embûches, est de couleur lumière
- car après tout, celui-ci est maintenant véritablement
joueur au sein de l’équipe des Ravens de Baltimore, n'est-ce
pas?
Drame familial, film de football, téléfilm de luxe - The
Blind Side emplit toutes ces fonctions, utilisant le sport en question
comme métaphore pour la famille. La mission du bloqueur gauche,
comme nous l’indique Leigh Anne durant un prologue utilisant des
images d’archive des années 80 de la NFL, est de couvrir
la position du quart-arrière dans son angle mort. Celui-ci a
beau être la pièce vitale à son équipe, il
a néanmoins besoin de tout le support de ses coéquipiers
s’il veut marquer des points. Il en va de même pour la famille
- personne ne peut triompher seul ; nous sommes interdépendants
au soutien de notre cercle familial. Allégorie résolument
pâteuse, donc, mais qui ne prend jamais des proportions trop étouffantes
au sein du récit, celui-ci n’étant étonnamment
pas axé sur une joute finale quelconque. Prévisible jusque
dans l’enchaînement de ses répliques, le scénario
parvient néanmoins à brosser un portrait vraisemblable
d’une famille banlieusarde républicaine, où échanges,
humour et préoccupations, s’ils se retrouvent naturellement
exempts de leur côté sombre, ne paraissent que rarement
forcés.
La réalisation de Hancock, très orthodoxe à son
genre, vient toutefois quérir une attention distinctive aux expressions
faciales, donnant un espace de jeu louable à ses comédiens,
tout particulièrement à Sandra Bullock, celle-ci tout
en nuances et généreuse comme rarement auparavant. Sans
même posséder un personnage au parcours intérieur
très poussé, Bullock s’accapare aussi bien la gestuelle
que l’âme de sa figure, faisant effectivement croire à
la croissance d’une femme impulsive, mais magnanime, plutôt
que de l’interpréter comme messie en véhicule utilitaire
sport et en talons. Quinton Aaron fait quant à lui preuve d’une
belle retenue en prodige déboussolé, et si son jeu manque
par moments de voltage, plusieurs de ses réparties témoignent
d’une tendresse peu commune chez les comédiens de son âge.
La même chose peut être dite au sujet de Tim McGraw, très
avenant en patriarche de son clan. Seul le jeune Jae Head, dirigé
sous le mode "mascotte piailleuse" dans le rôle du plus
jeune Tuohy, est incommode à contempler. Certes, à l’exception
de Bullock, les performances du film ne tendent pas vers la grande recherche,
mais elles sont chaleureuses, peu chargées et sincères
- traits difficiles à accorder à la distribution, par
exemple, d’un Gridiron Gang ou d’un Glory Road.
Cette décision de maintenir tout contenu sociologique dans un
cadre apolitique avait probablement déjà contraint The
Blind Side à patauger, même bâti de façon
impeccable, nettement au-dessous du rang d’un film remarquable.
Mais il manque une tension dramatique plus constante, des introspections
de personnages plus complexes et une emprise plus rigide sur le terrain
anthropologique parcouru pour atteindre de tels sommets. On se contentera
donc de saluer ce traitement qui ne flirte que très brièvement
avec un sentimentalisme dégoulinant, et le travail formidable
d’une actrice rompue à la comédie romantique faiblarde
depuis plusieurs années (la sortie retardée du grotesque
All About Steve, tourné en 2007, fait d'ailleurs très
bien écho à cette période aride). Objet presque
parfaitement neutre, le film qui l’entoure ne pourra que se vanter
d’avoir fait connaître une histoire quasiment trop belle
pour être vraie aux cinéphiles avant de s’endormir
sur les tablettes d’un club vidéo. Sur une note plus personnelle,
voici une anecdote témoignant bien du type de réaction
que The Blind Side est susceptible de provoquer : une connaissance
m’a demandé comment était le film après l’avoir
vu - ne sachant trop quoi répondre, je lui répondis sur
un coup de tête quelque chose dans cette lignée : "C’était…
Un film. Des images ont défilé sur un écran, et
une histoire était racontée avec acteurs, sons et musique."
Une déclaration sûrement assez valide pour se demander
si l'immense popularité du projet en question n'est pas simplement
présente parce que celui-ci parvient à inspirer une bonne
expérience cinéphilique sous sa forme la moins demandante.
Version française :
L'Éveil d'un champion
Scénario :
John Lee Hancock, Michael Lewis (livre)
Distribution :
Sandra Bullock, Tim McGraw, Quinton Aaron, Jae
Head
Durée :
128 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
14 Février 2010