THE BLACK DAHLIA (2006)
Brian De Palma
Par Alexandre Fontaine Rousseau
En 1974, un jeune réalisateur polonais du nom de Roman Polanski
redorait le blason d'un genre associé à l'âge d'or
d'Hollywood - le Film noir - tout en écorchant au passage les
fondations de la ville de Los Angeles. Au-delà du simple hommage,
Chinatown s'affirmait à la fois comme la quintessence
et la conclusion du genre dans la tradition duquel il s'inscrivait.
Depuis, tout réalisateur tentant d'approcher ce vestige du passé
qu'est aujourd'hui le Film noir semble empiéter sur le territoire
de la dernière oeuvre américaine de Polanski. Quelques
réalisateurs ont par ailleurs exploité au cours des dernières
décennies cette branche de l'héritage cinématographique
hollywoodien avec un certain succès. La filmographie de Brian
De Palma aura longtemps miné cette veine féconde avec
une virtuosité technique impeccable. Son Blow Out demeure
l'un des thrillers les plus exemplaires des trente dernières
années, et la maîtrise absolue des subtilités du
langage cinématographique qu'y démontre De Palma s'impose
comme l'application la plus admirable des enseignements du maître
Hitchcock qu'il nous ait été donné de voir depuis
le trépas du maître du suspense.
Malheureusement, celui que plusieurs qualifiaient d'ores et déjà
de fils spirituel d'Hitchcock semble depuis quelques années incapable
de pondre un film véritablement abouti. S'ajoutant à une
longue liste d'erreurs de parcours de toutes sortes, ce Black Dahlia
tout à fait raté tente de ramener à la vie l'univers
fascinant du Film noir tout en démontant sans jamais dépasser
le degré de la simple anecdote le mythe hollywoodien. Indigne
du talent de son auteur, le film s'effondre sous le poids des clichés
dans lesquels il se vautre sans arrière-pensée. Ici, rien
ne fonctionne et les rares sursis de vie animant la caméra de
De Palma ne dépassent jamais le niveau du vulgaire tape-à-l'oeil
irréfléchi. Il faut dire que le réalisateur travaille
à partir d'un scénario horriblement vaste et décousu,
adapté d'un roman de James Ellroy, dont le piètre commentaire
critique ne s'élève jamais au-dessus de celui d'un extrait
des pages du fameux recueil de potins Hollywood, Babylon de
Kenneth Anger.
Résumer la trame narrative de The Black Dahlia s'avère
en soi un exercice périlleux pour la simple et bonne raison que
le flot narratif du film est boiteux au-delà de toute raison.
Les multiples personnages de cette histoire de meurtre entrent et sortent
du film comme s'il s'agissait d'une maison de passe miteuse, une impression
désagréable que le recours compulsif de De Palma à
l'érotisme bon marché ne fait qu'accentuer. Si l'enquête
menée par les personnages de Josh Hartnett et Aaron Eckhart ne
mène à rien, c'est qu'elle semble marcher à tâtons
tout au long du film pour ensuite déboucher en de maladroits
déboulés dont les révélations n'ont en fin
de compte aucun impact. The Black Dahlia tourne à vide
et dérape dans toutes les directions à la fois sans s'appliquer
par quelque moyen que ce soit à entretenir notre intérêt.
Certes, le fait que la distribution soit abandonnée à
son sort sur ce navire sans capitaine ne fait qu'accentuer le ridicule
de toute l'affaire. Mais les mauvaises surprises ne s'arrêtent
pas là. Que Josh Hartnett ait toutes les misères du monde
à supporter sur ses frêles épaules le poids d'un
film n'a rien d'un scoop; il est plus décevant de découvrir
une Scarlett Johansson aussi fade et désorientée aux côtés
d'une Hilary Swank qui se compromet sérieusement en femme fatale
de service, pâle héritière de Faye Dunaway jusque
dans sa présence physique. Seule Mia Kirshner se démarque,
illustrant toute la vulnérabilité pathétique de
son personnage à l'aide d'un simple regard. C'est sa présence
spectrale qui garde le film en vie jusqu'à la ligne d'arrivée.
Ailleurs, The Black Dahlia n'est qu'un pastiche superficiel
sans charpente. Alors que le plan était autrefois plein de sens
chez De Palma, son architecture semble aujourd'hui totalement arbitraire
et artificielle. Sa signature, le plan bifocal, n'est plus qu'un jouet
sans utilité narrative apparente. Les plans-séquences
ne racontent rien alors que le montage, autrefois la force d'une oeuvre
marquée par l'art du rythme, s'étouffe dans une surenchère
de fondus au noir peu fluides et de transitions biscornues. The
Untouchables, point de référence le plus probant
à même l'oeuvre du réalisateur, se distinguait par
sa direction photo truffée de clins d'oeil ingénieux à
l'esthétique d'antan. Pour sa part, The Black Dahlia
a tout d'une reconstitution théatrale et bon marché capitalisant
sur une nostalgie purement mercantile pour les années 40.
La rumeur voulait que The Black Dahlia soit un retour à
la forme pour De Palma. La réalité, malheureusement, nous
réserve un spectacle autrement plus désolant: un exercice
de style vain tentant fort timidement de s'attaquer au grand mythe d'Hollywood
par l'entremise de l'un des genres clés de son histoire. Là
où Polanski réinventait subtilement le genre sans en trahir
l'esprit, De Palma nous offre une copie bêtement nostalgique de
nature strictement visuelle. En bout de ligne, The Black Dahlia
est un gâchis incohérent qui vise trop haut et frappe trop
bas pour se mériter notre indulgence. Dans la même veine,
le récent Kiss Kiss Bang Bang de Shane Black demeure
un essai autrement plus drôle dont les excès sont mille
fois mieux gérés. Qu'un réalisateur d'expérience
de la trempe de De Palma puisse signer une oeuvre aussi décousue
a de quoi surprendre. Mais depuis le splendide plan-séquence
de Snake Eyes, force est d'admettre que les jeux sont faits
et que rien ne va plus pour celui-ci.
Version française :
Le Dahlia noir
Scénario :
Josh Friedman, James Ellroy (roman)
Distribution :
Josh Hartnett, Scarlett Johansson, Aaron Eckhart,
Hilary Swank
Durée :
121 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Septembre 2006