BLACK BOOK (2006)
Paul Verhoeven
Par Jean-François Vandeuren
Pour un cinéaste ne se manifestant pas outre mesure, l’échec
peut être un obstacle particulièrement difficile à
surmonter. Ce fut le cas par exemple pour Paul Verhoeven qui, après
avoir donné naissance à l’une des productions les
plus abominables des années 90 avec Showgirls, retrouva
momentanément ses esprits pour signer le fort concluant Starship
Troopers avant de s’effondrer de nouveau trois ans plus tard
dans le même genre auquel il donna jadis les excellents Robocop
et Total Recall avec l’insipide Hollow Man.
Depuis, pas de nouvelles. Il faut dire qu’après une période
aussi houleuse en sol américain, il ne restait plus au cinéaste
hollandais qu’à rentrer au bercail afin de méditer
longuement sur les rouages de son prochain projet. Et quoi de mieux
qu’un film de guerre doublé d’une émouvante
leçon de courage pour effectuer un retour en force et remettre
rapidement le public dans sa poche? S’il joue au départ
dans les mêmes plates-bandes que le fort maniéré
The Pianist de Roman Polanski, Black Book suit par
la suite un cheminement beaucoup plus sinueux au fil duquel Verhoeven
porte un regard des plus évocateurs sur les nombreuses nuances
de la Seconde Guerre mondiale.
C’est donc après plus de vingt ans à fondre divers
faits historiques en une toile narrative vraisemblable et fonctionnelle
que Paul Verhoeven et son acolyte Gerard Soeteman nous propose finalement
ce fameux Black Book. Le présent effort suit les déboires
d’une jeune chanteuse d’origine juive qui, suite à
la destruction de la demeure où elle se cachait par l’armée
allemande, tentera de faire son chemin jusqu’en territoires libérées
par voie maritime. Malheureusement, l’embarcation comptant à
son bord plusieurs autres réfugiés particulièrement
nantis sera interceptée au beau milieu de la nuit par une patrouille
nazie qui en assassinera froidement tous les occupants, sauf évidemment
la jeune femme qui réussira à leur échapper. Cette
dernière se joindra par la suite à la résistance
hollandaise grâce à laquelle elle pourra se fondre aisément
à la masse. La chanteuse devra toutefois prendre son courage
à deux mains lorsqu’elle sera appelée à séduire
un des hauts dirigeants de la gestapo afin de sauver quarante de ses
frères d’arme d’une mort certaine. Mais ce qui n’était
au départ qu’une simple mission se transformera peu à
peu en une relation amoureuse des plus ambiguës.
Le cinéma européen médite depuis déjà
quelques années sur certains des sujets les plus délicats
de la Seconde Guerre mondiale dans le but d’exorciser de vieux
démons et de démystifier certains faits que nous prenons
pour acquis depuis beaucoup trop longtemps. Dans cette optique, Black
Book se situe dans une immense zone grise que Verhoeven et Soeteman
explorent tout en évacuant tout jugement hâtif envers des
protagonistes que nous avons l’habitude de catégoriser
en fonction de leur uniforme et de l’idéologie qui lui
est rattachée. Le duo s’acharne ainsi sur les faiblesses
de ses personnages qui seront dans bien des cas la source d’actions
égoïstes dans une situation où la fin de la guerre
semble imminente et que d’un côté comme de l’autre,
chacun cherche à assurer son avenir après les hostilités,
quitte à abandonner leur patrie et leurs proches, voire à
se trahir eux-mêmes. Le duo nous plonge du coup dans un état
de constante incertitude en nous indiquant clairement dès les
premiers instants du film que notre appréhension des différents
personnages sera bien souvent erronée. Une erreur que commettront
d’ailleurs pratiquement tous les protagonistes du présent
effort pour le meilleur ou pour le pire, peu importe leurs origines
et leurs intentions.
Nous ayant habitués à une mise en scène désinvolte
flirtant avec un malin plaisir avec les nombreuses largesses du série
B, c’est un Paul Verhoeven pour le moins transformé qui
se présente de nouveau à nous après plus de six
ans d’absence. Un peu comme Roman Polanski l’avait fait
pour The Pianist, le cinéaste hollandais signe ici une
facture visuelle beaucoup plus classique tout en capitalisant sur quelques
marques de commerce ayant fait sa renommée, dont la forte présence
d’érotisme. Le seul véritable bémol de ce
moule esthétique autrement très soigné se veut
la trame sonore d’Anne Dudley qui aurait eu avantage à
se faire un peu plus discrète. Autrement, Verhoeven prend ses
distances d’un point de vue stylistique pour illustrer d’une
manière on ne peut plus directe un scénario impitoyable
ne mettant aucun protagoniste à l’abris de l’erreur,
de la trahison et de la mort. Le tout alimente une tension dramatique
devenant de plus en plus palpable à mesure que le duo ressert
l’étau autour de ses personnages constamment confrontés
aux pires scénarios. Dans la peau de ces derniers s’illustrent
particulièrement Carice van Houten et Sebastian Koch qui offrent
tous deux une performance puissante révélant autant la
force de caractère que la grande vulnérabilité
de leur personnage respectif.
La guerre n’est donc pas que monstres barbares et héros
au grand cœur dans Black Book. Sans chercher à
faire un portrait plus clément de l’armée allemande,
les deux cinéastes effectuent un portrait plus nuancé
de cette sombre période en mettant davantage l’accent sur
les rapports de circonstances ainsi que les forces et les faiblesses
de l’esprit humain se terrant sous chaque symbole et uniforme.
Verhoeven et Soeteman réduisent ainsi à néant bon
nombre des automatismes véhiculés par ce type de récit
dans sa forme la plus classique en célébrant autant l’humanisme
et la détermination des uns qu’ils dénoncent l’hypocrisie
et la cruauté des autres. Et si Black Book n'accorde
en soi que peu d'attention aux nombreuses injustices dont le peuple
juif fut victime à cette époque, l’effort culmine
néanmoins vers une finale vibrante d’ironie révélant
une oppression et une haine s’étalant bien au-delà
des politiques antisémites de l’Allemagne nazie et des
événements de la Seconde Guerre mondiale. Comme quoi toutes
les cicatrices laissées par ce conflit figurant parmi les plus
violents de l’histoire de l’humanité n’en aura
pas inspiré les différents sous-groupes à oublier
leurs vieilles querelles une bonne fois pour toute.
Version française : Le Carnet noir
Version originale : Zwartboek
Scénario : Gerard Soeteman, Paul Verhoeven
Distribution : Carice van Houten, Sebastian Koch, Thom Hoffman,
Halina Reijn
Durée : 145 minutes
Origine : Hollande, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne
Publiée le : 29 Mai 2007
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