BLACK (2009)
Pierre Laffargue
Par Mathieu Li-Goyette
Quelque part en Afrique, un chaman réside pas trop loin d’une
banque et des organisations internationales qui s’arrachent le
complot qui sera bientôt mis en route. Quelque part en France,
MC Jean Gab’1, acteur, artiste de hip-hop, est appelé à
joué dans un film de blaxploitation qui sortira en 2009 et portera
le nom de Black. Black, c’est le nom de son héros,
ce bagnard convaincu, à la limite macho et capable de faire de
ses péripéties les petits calques d’un James Bond.
Noirs contre blancs, Black est épaulé par ses compatriotes
relativement idiots et incompétents et un cousin qui lui file
le tuyau d’une boîte de diamants devant transiger dans les
prochains jours. Black et son équipe partent, tombent sur une
agent double d’INTERPOL et ce qui s’annonçait être
un film de braquage devient un conte africain contemporain où
le flair du scénario prend des tendances néocoloniales
imposantes. Terre inconnue, mais aussi retour aux sources pour un Africain
déraciné, l’Afrique de Pierre Laffargue n’est
pas misérable, elle n’est pas non plus assouvie. Décors
exotiques mis en perspective, la société est montrée
comme fonctionnelle, voire idéalisée au profit d’un
retournement de nos préjugés cinématographiques
en transportant la pensée du film d’exploitation en terre
d’origine et en la confrontant aux récits mythologiques
d’une contrée dépassée par les armes et la
technologie.
Outre le sous-texte foncièrement exotique, Black expose
les plus belles règles de son genre en l’actualisant à
l’ère de l’exploitation, des vilaines multinationales
et des terroristes étrangers dans un mixte explosif qui donne
à Jean Gab’1 le chanteur l’occasion de jouer les
héros du dimanche. Figure connue en France, son apparition dans
le film (suivant celle plus minime de Banlieu 13) crée
distanciation par rapport au spectateur observant ce chanteur effectuant
des pirouettes au-dessus des vilains Russes; la démarche rappelle
celle de Wahlberg et de sa venue au cinéma. Sans jouer dans le
potinage, il y a certainement beaucoup à dire du passé
tumultueux de l’acteur avec les autorités puisqu’il
est maintenant mené à jouer ce qu’il vivait auparavant.
Film de masques en ce sens, Jean Gab’1 est le lion d’une
fable africaine agrémentée par une panthère (l’agent
double) et un serpent (l’antagoniste manipulateur manipulé)
dans une confrontation finale aux élans narratifs convaincus
et très peu communs. Du film de braquage jusqu’aux malédictions
annoncées par un sorcier perdu des savanes, Black est
un film qui pousse loin les limites du cinéma d’action
contemporain et accomplit sa mission avec la frondeur du blaxploitation
et les accents exotiques de l’Afrique.
Il restera cependant toujours les limites budgétaires pour clouer
le film de Laffargue au pilotis des films d’action français
populaires. Évoluant au centième d’une production
hollywoodienne, Laffargue se tire bien d’affaire avec une mise
en scène certe classique, mais d’autant plus instruite
quant à l’utilisation du genre cinématographique
auquel il rend hommage. Certaines scènes d’action cabotines,
d’autres dialogues mal repris, le tout manque de la finition et
de la précision méthodique de l’industrie américaine
à qui - là se trouve le centre de la faille - l’on
doit après tout le lexique de cinéphile sur lequel Black
prend racine. Pour refaire différemment ce qui fait partie de
la légende (et d’autant plus celle très disciplinée
du film d’exploitation), la démarche pourrait se souhaiter
plus inventive, voire prétentieuse dans la récupération
qu’elle entreprend. À jouer dans les terrains de jeux démesurés
du genre, l’indocilité est nécessaire et c’est
justement à être docile que Jean Gab’1 joue le mieux
alors que la femme met son grain de sel dans le couplet du dernier acte
du film. À moitié macho, à moitié féministe,
Black est un film intéressant qui semble tout juste
suivre à la lettre un manuel d’opérations préétabli
par un scénario, un contexte de production, une distribution
et des préoccupations typées qui ne pouvaient que difficilement
aboutir à un produit nettement original.
Laffargue parvient toutefois à sauver la mise au final. Divertissant
à souhait, le voyage en Afrique est aussi une escapade dans les
sonorités jazz des années 70 et dans le côté
brute de cascades bien sympathiques. Cure de rajeunissement qu’est
ce Black pour un cinéma français excellant toujours
dans les thrillers et les mélodrames, l’équipe joue
ici dans la cour des grands et s’y débrouille assez pour
opposer le rire à l’excitation d’un complot bien
étalé et surtout une relation juteuse entre Black et son
acolyte Pamela. De cette relation naît d’abord une complicité
sensuelle, mais surtout une tension de prédateur entre le «
manger ou se faire manger » avec ces animaux humains qui auront
l’occasion de reprendre leur peau d’origine le temps d’une
nuit échaudée avant la tempête finale. Les rites
accomplis, tous muent et se mettent en chasse dans un petit délire
cinématographique où la métaphore totémique
est de mise et où soudain, Black prend tout son sens
issu d’une magie tribale dite à travers les astres. Question
de destiné, les péripéties invraisemblables sont
excusées, les comportements sauvages expliqués, bref l’imaginaire
contemporain est décortiqué et mise à nue par l’imaginaire
primitif et brutal qui donne son cachet à la toute belle bête
Black.
Version française : -
Scénario : Pierre Laffargue, Lucio Mad, Gábor Rassov
Distribution : MC Jean Gab'1, Carole Karemera, François
Levantal, Anton Yakovlev
Durée : 115 minutes
Origine : France
Publiée le : 30 Juillet 2009
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