A BITTERSWEET LIFE (2005)
Kim Ji-woon
Par Alexandre Fontaine Rousseau
S'il abordait d'un angle plutôt cynique le thème de la
famille, A Tale of Two Sisters se démarquait d'abord
et avant tout par la remarquable recherche esthétique dont il
était le fruit. Les actrices y ressemblaient à de pauvres
poupées de chiffon malmenées tandis que chaque pièce
de l'inquiétante demeure qui servait de théâtre
à cette relecture glauque d'une vieille fable folklorique coréenne
semblait véritablement hantée grâce au travail virtuellement
sans faille du directeur photo Lee Mo-Gae. D'emblée, ce film
de genre extrêmement abouti élevait son réalisateur
Kim Ji-Woon au rang de cinéaste à surveiller. Il avait
après tout inspiré au populaire Takashi Miike la prémisse
de son meilleur film, The Happiness of the Katakuris, en plus
d'avoir conté l'une des meilleures histoires de fantômes
des dernières années.
Avec A Bittersweet Life, Ji-Woon délaisse l'horreur
pour orienter sa caméra vers le film noir. Ce faisant, il se
penche sur la vengeance, thème fétiche de son éminent
compatriote Park Chan-Wook dont les excellents Sympathy For Mister
Vengeance et Oldboy font figure de nouvelle référence
en la matière. Il emprunte au JSA de celui-ci sa vedette,
Lee Byung-Hun, et s'aventure sur le terrain miné du cinéma
d'action musclé et hyperstylisé. À défaut
d'offrir un scénario particulièrement bien ficelé,
A Bittersweet Life fait preuve d'une force brute remarquable
lors de séquences d'action percutantes, montées avec un
dynamisme exemplaire et filmées avec un authentique flair visuel.
En fait, le film de Kim Ji-Woon est un triomphe absolu du style sur
la substance ; un énorme spectacle survolté au cours duquel
le cinéma n'est plus que sang, son et lumière.
L'intrigue, pour sa part, s'avère fort simple. Sun Woo, homme
de confiance d'un puissant caïd, est chargé par celui-ci
de surveiller sa compagne qu'il suspecte de lui être infidèle.
L'ordre est simple : si ces doutes s'avèrent justifiés,
Sun Woo doit disposer des jeunes amants sur-le-champ. Toutefois, l'homme
habituellement sans remords est assailli par le doute lorsque vient
le temps de passer à l'action. Les émotions dont il s'était
détaché pour des raisons professionnelles refont surface.
Au moment crucial, Sun Woo s'abandonne à une crise de conscience.
Son patron ne le lui pardonnera pas. Il ordonne que son lieutenant soit
exécuté. Mais celui-ci survit et, réalisant qu'il
a sacrifié sept ans de sa vie à servir un homme prêt
à le tuer pour si peu, se lance dans une gigantesque opération
de vengeance aux répercussions forcément sanglantes.
S'il prend un certain temps avant de démarrer, A Bittersweet
Life affiche une intensité certaine lorsque vient le temps
de déclencher les hostilités. Sa violence crue est exploitée
à des fins purement esthétiques, ce qui en irritera sans
doute plusieurs. Néanmoins, le film de Kim Ji-Woon pris au premier
degré demeure un spectacle d'action léché et efficace.
Son histoire de rédemption et son commentaire simpliste sur l'absurdité
de la vie ne fonctionnent qu'à moitié, mais évitent
heureusement le sentimentalisme excessif dont souffrent bon nombre de
productions coréennes. Ici, le traitement laisse libre cours
aux pires excès et à un humour noir et pince-sans-rire.
Les combats, d'une brutalité parfois saisissante, sont chorégraphiés
avec soin. L'explosive conclusion nous donne l'impression d'assister
à une reconstitution dirigée par John Woo de la finale
du Tokyo Drifter de l'iconoclaste japonais Seijun Suzuki. Mais,
dans l'ensemble, A Bittersweet Life semble d'abord inspiré
par le cinéma de Park Chan-Wook sans nécessairement en
afficher le déstabilisant sadisme intellectuel.
En fait, la réussite du film repose en bonne partie sur l'excellence
du travail du directeur de la photographie, Kim Ji-Yong, qui complète
avec A Bittersweet Life son premier projet à ce poste.
Ses éclairages contrastés et l'inventivité de sa
caméra confèrent au film de Kim Ji-Woon une bonne partie
de son style et de son élégance ; ailleurs, ce quatrième
long-métrage du réalisateur coréen offre un spectacle
violent porté par son souffle mélancolique bien dosé
et par l'attitude cool qu'il affiche du début à la fin.
Ceux que le cinéma d'action américain déçoit
constamment devraient définitivement y jeter un coup d'oeil.
Pour sa part, Ji-Woon nous prouve avec ce solide film noir qu'il est
polyvalent dans sa maîtrise du cinéma de genre à
défaut de faire preuve d'une inspiration à tout casser.
A Bittersweet Life est un gros divertissement tapageur rondement
mené qui, sans nécessairement confirmer le statut d'auteur
de son créateur, affiche aussi une certaine sensibilité.
Version française : -
Version originale :
Dalkomhan insaeng
Scénario :
Kim Ji-Woon
Distribution :
Jeong-min Hwang, Yu-mi Jeong, Ku Jin, Hae-gon Kim
Durée :
120 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Juillet 2006