THE BIG ONE (1997)
Michael Moore
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Plusieurs des détracteurs de Michael Moore l'accusent de faire
des films qui traitent d'abord et avant tout de lui, et aucun de ses
projets ne confirment cette affirmation autant que The Big One.
Après tout, le réalisateur et polémiste américain
suit ici la tournée de promotion de son propre livre, Downsize
This, à travers l'Amérique. Mais il faut comprendre
que l'efficacité même de ce que l'on peut carrément
qualifier de «méthode Moore» depuis l'immense succès
de Bowling For Columbine découle directement de la présence
d'un protagoniste central auquel l'Américain moyen puisse s'identifier.
Car c'est cet Américain moyen qui demeure le public cible du
réalisateur, ce qui explique pourquoi il doit parfois niveler
vers le bas ou simplifier sa rhétorique. S'il frôle souvent
la caricature, le personnage qu'interprète Moore dès qu'il
est en public n'en demeure pas moins une figure marquante dont les opinions
et les origines sont claires.
Or, force est d'admettre que sa lutte pour la remise en question des
principes de bases de notre économie est non seulement fort louable
mais carrément vitale. Et, s'il suit ici ses propres aventures
d'une ville à l'autre, c'est qu'il y a quelque chose de bien
étrange qui se trame en Amérique actuellement, une maladie
dangereuse et selon certains incurable qui semble régir au nom
d'une logique fort obscure notre organisation politique, économique,
est-il même possible de séparer les deux, et sociale. Le
citoyen n'est rien s'il n'est pas actionnaire et tout ce qui semble
compter aux yeux de l'actionnaire est la toute puissante croissance
économique. Peu importe que les ressources de notre bonne vieille
planète soient limitées, ou que les conséquences
humaines de cette poursuite obsessionnelle de la hausse des rendements
soient catastrophiques. Il n'y a pas de limites à l'argent que
désire l'actionnaire.
Voilà que par un pur hasard orchestré au montage, il semble
que toutes les villes que visite Moore lors de son grand périple
souffrent directement des effets secondaires de la domination des économistes.
Fermetures d'usines et tentatives d'empêcher la syndicalisation
façonnent le quotidien de l'Amérique moderne. On déménage
ces usines au Mexique, en Indonésie ou en Chine, tous des pays
où le salaire moyen est encore plus ridicule et les conditions
de travail moins bien contrôlées. Le concept d'éthique,
dans toute ces histoires administratives de haut niveau, n'est pas pris
en considération une seule fois.
La belle démocratie qui sert de justification à cette
grandiose liberté d'entreprise est elle aussi en piteux état.
Plus personne ne va voter aux États-Unis, un geste qui de toute
façon ne veut plus dire grand chose quand les deux choix qui
s'offrent à l'électeur ne mènent qu'à de
trop subtils changements. Le fait est que sans la participation active
et la surveillance constante du peuple, la démocratie est vidée
de tout sens. Elle devient un outil de plus pour garder la masse sous
sédation, laissant à la classe politique et économique
régner en toute liberté. Mais, comme le prouve cette entrevue
marquante avec le président directeur-général et
fondateur de Nike, Phil Knight qui clos le film, la morale de ces individus
louches semble centrée sur le respect sacro-saint de l'entreprise.
Knight, après tout, parle du ciel comme d'un «big shoe
box in the sky». Une blague qui en révèle beaucoup
sur d'un homme pour qui la croissance de son entreprise est de son propre
aveu une fin en soi.
Avec humour et vigueur, Michael Moore se livre ici à un combat
contre le système américain lui-même. On pourrait
lui reprocher le manque de subtilité de sa charge, mais ses arguments
sont fort solides. On pourrait l'accuser de s'enrichir en vendant sa
subversion par l'entremise de corporations sanguinaires, mais ce serait
nier qu'il arrive à rejoindre avec son oeuvre une foule de gens
qui ne seraient pas conscientisés autrement. Certains diront
qu'en jouant les défenseurs de l'Amérique moderne, Moore
ne fait que déresponsabiliser le spectateur qui, assis dans son
divan, le regardera lutter à sa place. À cela, on pourra
répondre qu'un citoyen averti est au moins sur la voie de la
rédemption. Sans être du calibre de l'excellent Bowling
For Columbine, The Big One se révèle un
film engagé divertissant, surtout compte tenu du fait qu'il remet
en question les bases mêmes de notre système. Peu importe
qu'on parle du film comme d'un documentaire ou d'une docu-fiction arrangée
avec le gars des vues...
Version française :
Le Géant
Scénario :
Michael Moore
Distribution :
Michael Moore, Garrison Keillor, Phil Knight, Joel
Feick
Durée :
91 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Avril 2005