BEST WORST MOVIE (2009)
Michael Stephenson
Par Mathieu Li-Goyette
Dans les brumes nostalgiques et délirantes du film culte se tient,
sur un piédestal, le mythique Troll 2. Un rejet parmi
les plus grandes ordures de l'histoire du cinéma, un ramassis
de très mauvaises décisions accolées les une à
la suite des autres au désir d'un esprit incompris en celui de
Claudio Fragasso. Convaincu de la portée de cette grande oeuvre,
le cinéaste rechigne, se plaint et renie ses anciens acteurs
qui, avec le recul des ans, sont aujourd'hui en mesure d'avouer avoir
participé au pire film de tout les temps. Lui, cinéaste
italien insondable grogne et s'exclame que les acteurs sont des enfants
gâtés, qu'ils ne comprennent rien au cinéma ni à
l'art de la narration et que pour lui, faire Troll 2 relevait
de l'exploit de raconter une simple histoire par de simples moyens:
revenir à l'essence même du cinéma, de l'expérience
en salles et de l'art du conteur.
C'est en ce sens que le Best Worst Movie de Michael Stephenson
(qui incarnait l'enfant-vedette de Troll 2) aborde les retrouvailles
et le procès cinématographique qu'il enclenche en ressuscitant
les fantômes de la production de 1990. Échelonné
sur près de quatre ans, le tournage de Best Worst Movie
réunit l'ensemble des acteurs et techniciens du film et les traque
au fil d'une chasse à l'homme à travers les États-Unis
et l'Italie. Si certains prennent l'idée avec rire, d'autres
renient ou encore défendent le déchet qui, par sa médiocrité,
est devenu l'objet d'un culte de fanatiques avides. Messes, projections,
fêtes, le film de Stephenson nous plonge dans la grande kermesse
du navet aux premières loges des comédiens amenés
à renouer avec le public qu'ils n'ont jamais eu (le film n'ayant
eu droit qu'à une sortie vidéo aux États-Unis)
et à répondre de leurs actes. Si la démarche semble
épisodique et divise rapidement le film en segment plus ou moins
unis par le thématique du long-métrage ainsi décortiqué,
Stephenson tend la main à un style documentaire différent
du géant Michael Moore avec qui la formule aurait bien pu être
appliqué au scandale cinéphilique que voici.
Rassemblés dans des salles et des sous-sols, les fans sont vêtus
de chandails écrits «Nilbog» et «Goblin»
(le calembour bien pitoyable du film impliquant le nom de la ville et
les gobelins), se gavent de nourriture verte et collectionnent les accessoires
et souvenirs du film. On s'interroge sur le rituel, sur les processions
de foi que représentent ces idées fanatiques pour décoder
au fil des témoignages un rituel, une micro-société
à l'intérieur de laquelle George Hardy, Michael Stephenson,
Claudio Fragasso et autres sont des veaux d'or. Principalement articulé
autour de Hardy, le père de famille de Troll 2, Best
Worst Movie trace le parcours de ce dentiste à l'allure
bonhomme et au sourire compatissant de l'Utah qui, d'un blogue à
l'autre et d'un forum à Youtube devient célébrissime
dans le milieu (louable ou non au choix du lecteur) des nanars cultes.
C'est l'histoire touchante d'un homme de famille convaincu (aussi bien
le spectateur lambda de la salle) et de son entrée dans un monde
inconnu (le film culte et les hordes cinéphiliques) cristallisé
dans une brillante séquence centrale où Hardy se perd
au beau milieu d'une convention de films d'horreur. Accoutrés
en Freddy, Jason, Leatherface et autres monstres psychopathes du cinéma
et des vagues psychotroniques, le héros obscur tente de se frayer
un chemin, de comprendre la violence et l'intérêt d'un
gore qu'il n'a jamais connu et d'un effroi qu'il n'apprécie
pas en tant que spectateur. Protagoniste d'un mauvais film d'horreur,
il est l'innocent pris au piège par les abus du film culte.
Qu'est-ce qu'un film culte? Autant les dictionnaires du cinéma
que les précis d'histoire que les livres portant sur le film
culte n'y trouve de définition assez valable. À travers
les années, plusieurs efforts ont tenté de rassembler
les ingrédients d'un culte qui, par définition est un
honneur rendu à une divinité ou à une puissance
supérieure quelconque. Celle du cinéma en l'occurrence,
le principe du culte nécessite un rituel (le visionnement), un
protocole dument respecté (la nourriture verte, les masques de
gobelins), des disciples (les cinéphiles) et des lieux de rassemblements
(la salle de cinéma). Bien qu'il soit évident que certains
préfèreraient que de telles cérémonies soient
organisées pour le cinéma d'auteur, c'est tout de même
en fin de compte le cinéma médiocre qui trouve le plus
d'adeptes. Parce qu'une fois entrée dans la salle, la foule s'abandonne
à un plaisir coupable, celui de perdre son temps devant 90 minutes
de stupidités et de non-sens. Perdre son temps en groupe, en
regardant son voisin de siège et en lui jetant le même
air de « mais qu'est-ce qu'on fait ici » pour éclater
du rire le plus incompréhensible, mais aussi le plus ironique
et désespéré qui soit. Le film culte et la résurgence
d'Ed Wood, du film Trauma de Lloyd Kaufman et des supporters avides
de Roger Corman ont tous eu lieu au tournant des années 70 et
80. À une époque où la télévision,
les grands médias et la guerre dans notre salon a fait naître
le cinéma que l'on nomme aujourd'hui postmoderne. Un cinéma
de réflexion sur sa propre forme et son propre statut d'objet-cinéma
où le discours de l'artiste a atteint un niveau d'abstraction
qu'on contre peu à peu grâce au nouveau réalisme
apporté par le numérique. À l'opposé, le
film culte n'existe que grâce à ceux qui croient à
son pouvoir. Plus il y a de gens qui y croient, plus le film acquiert
un certain statut divin que n'ont, de leur côté, que certains
auteurs célébrés par la critique et les intellectuels.
Best Worst Movie trace ainsi les grandes lignes du phénomène
en faisant de Hardy l'exemple d'un microcosme cinématographique
donnant l'occasion au spectateur à remettre en question sérieusement
les tenants de la création au cinéma. Un vieillard abordé
confesse qu'il n'a probablement accompli rien d'autre de sa vie que
le tournage de Troll 2, qu'il n'a aucun enfant ni petit-enfant
et qu'il mourra probablement aussi seul qu'il l'est maintenant. Une
femme désire encore devenir actrice depuis le fiasco de 1990.
Deux hommes qui interprétaient les gobelins ont leur compagnie
de production indépendante, un autre est comptable, et le nôtre
est encore dentiste. Le film de Stephenson place en compartiment les
étapes de la production d'un film et étiquette les étages
qui mène à son statut tout en identifiant et en rendant
un hommage mérité et émouvant à ces inconnus
qui auront pourtant diverti des milliers de spectateur au fil des ans.
C'est d'autant plus louable que l'unique exercice du genre dans les
dernières années y soit parvenu avec l'humilité
et l'humanité requise pour ne pas faire de ses anciennes vedettes
les victimes d'un cirque des horreurs goblinoïdes.
Version française : -
Scénario :
Michael Stephenson
Distribution :
George Hardy, Michael Paul Stephenson, Darren Ewing,
Jason Wright
Durée :
93 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
4 Août 2009