BEOWULF (2007)
Robert Zemeckis
Par Louis Filiatrault
Les vrais « fans » de Robert Zemeckis doivent se compter
sur les doigts d'une main. Personne ne confie à ses amis: «
Man, j'ai TELLEMENT hâte au prochain Zemeckis! » Et pourtant,
chacune de ses sorties trouve le moyen d'attirer l'attention de la presse,
de susciter un minimum de discussion ; bref, de « faire l'événement
», ne serait-ce que pour un court moment. Plus qu'un mélodrame
terriblement efficace, Forrest Gump relançait les débats
entourant la manipulation de la matière historique. Who Framed
Roger Rabbit intégrait l'animé au filmé, puis
vice versa, selon un procédé novateur qui fit école.
Et plus récemment, dans The Polar Express, que je n'ai
pas vu, Zemeckis et son équipe avançaient le pari d'un
long-métrage d'animation recourant extensivement à la
technologie du motion capture. C'est d'une part dans l'espoir
de me gâter devant un bon film d'action, d'une autre de découvrir
un emploi minimalement intéressant de la même technique,
que je donnai une chance à Beowulf. Quelle ne fut ma
surprise, devant des attentes aussi modestes, de voir le résultat
laisser tout de même à désirer!
Beowulf raconte l'histoire de Beowulf, c'est-à-dire
d'un valeureux guerrier répondant aux appels d'un royaume terrorisé
par le monstre Grendel. Mettant un terme à une nuit de festivités,
ce dernier fait irruption dans la salle commune du village où
se trouve le héros, puis est vaincu à l'issue d'un rude
combat. Se faisant offrir le trône et la reine sur la seule condition
du meurtre définitif de la mère de Grendel, Beowulf s'aventure
dans les montagnes et découvre la créature sous sa vraie
forme: celle d'une irrésistible tentatrice, avec qui il préfère
s'accoupler. Les années passent, et Beowulf exerce son règne,
coupable et amer d'avoir failli à sa tâche et menti à
ses pairs. Les lunes se succèdent jusqu'à ce que la vérité
éclate au grand jour: un dragon fait son apparition dans les
parages et ne se révèle comme rien d'autre que le fils
de Beowulf, que celui-ci doit affronter avant de périr, purifié
mais incompris, sur les sables de son royaume.
Ce récit, en apparence assez chargé, s'avère en
fait aussi laborieux à résumer qu'il est ennuyeux à
se faire raconter. Devant la promesse d'un film d'aventures haut en
couleurs, devant tant de revirements et de péripéties,
il est surprenant de voir le «film» (car peut-on encore
parler de « cinéma »?!...) consacrer un bon tiers
de sa durée, sinon la moitié, à des scènes
de dialogues parfaitement ordinaires. En fait, le plus grand problème
de Beowulf est de n'être ni plus, ni moins virtuel que
300 ou Lord of the Rings, de ne pas savoir justifier
sa libération des contraintes physiques ; comme dans ces productions
assurément influentes, l'action y est aussi malléable
qu'un tas de plasticine (c'est-à-dire beaucoup), face à
des scènes dramatiques figées dans un code rendant complètement
superflu le dispositif technique. Tout au plus, la « caméra
» trouve certains effets de flottement et d'onirisme dans quelques
séquences isolées. Quant à elle, l'adhésion
aux figurines numériques, chargées de faire passer des
émotions parfois complexes, demeure à la discrétion
du spectateur. Ceci dit, force est d'admettre que l'effet relève
bel et bien du jamais vu, et que les comédiens font bien leur
travail.
Comme s'il ne lui suffisait pas d'être insuffisante, l'action
même démontre un manque de direction ; d'abord plutôt
horrifiante, elle prend un ton comique et puéril autour du milieu,
puis devient expéditive et grandiloquente en fin de parcours.
Le même genre d'incohérence est à l'oeuvre dans
le scénario co-écrit par Roger Avary, qui signait pourtant
l'intéressante adaptation de Silent Hill il y a quelque
temps. Ne sachant pas trancher entre la satire et la dramatisation très
sérieuse des enjeux du récit, les auteurs ne savent visiblement
pas non plus quoi faire des pistes intrigantes, pourtant nombreuses,
qu'ils sèment tout au long (la montée de l'Église,
le vieillissement du héros, etc.). Le résultat est tapageur
et confus.
En somme, sans que cela ne soit très surprenant, Beowulf
sent la délégation, la répartition industrielle
des tâches, à plein nez. Aucune vision particulière
n'oriente l'ensemble, sinon l'ambition follement commerciale de préparer
minutieusement le public à l'apparition spectaculaire, déjà
célèbre avant la sortie du film, d'«Angelina Jolie»
(version 3.0?). Relecture fade d'un texte important de l'histoire littéraire
anglo-saxonne, Beowulf échoue même à satisfaire
les attentes les plus primitives (sinon par brefs éclats), et
mérite plus ou moins sa place parmi les projets un tant soit
peu audacieux associés au nom de Zemeckis. C'est un divertissement
moyen à défaut d'être mauvais, mais surtout un produit
tristement insignifiant, comme on n'a sans doute pas fini d'en voir.
MAIS C'EST EN 3-D!!!
Version française :
La Légende de Beowulf
Scénario :
Neil Gaiman, Roger Avary
Distribution :
Ray Winstone, Anthony Hopkins, Angelina Jolie,
John Malkovich
Durée :
113 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Décembre 2007