BEN X (2007)
Nic Balthazar
Par Mathieu Li-Goyette
Nom de personnage: Ben X.
Race: Humain autiste adolescent.
Classe: Gamer.
Pouvoirs spéciaux: La mère et le petit frère de
Ben X vivent avec lui, mais ce dernier ne vit pas avec eux. Ben X se
nourrit par intraveineuse de fréquences variables de câbles
réseaux informatiques. C’est un être apathique, capable
de survivre uniquement en captivité. Le manque d’isolement
l’asphyxie. À l'extérieur, sa bulle d’exploration
prend la forme de deux petits écouteurs blancs qui simulent son
habitat naturel. Petit être en bas de la chaîne alimentaire,
il ne connaît que des prédateurs. Ben X est capable, lui,
de s’approprier des amis virtuels. À la portée de
la main, ces phantasmes sociaux agrémentent son quotidien. Faute
d’ailliés pour ses aventures matérielles, Ben X
est en voie d’extinction.
Le premier long-métrage du réalisateur belge Nic Balthazar
se veut avant tout une expérience audio-visuelle qui s’inscrit
à l’intérieur de plusieurs autres médiums.
Roman, puis pièce de théâtre avant d’être
un film, Ben X relate les événements quotidiens
que vit Ben, joueur invétéré du jeu vidéo
massivement multi-joueurs (communément appelé MMORPG)
Archlord. En effet, Ben représente assurément
le plus brillant amalgame de symptômes de ludivideophilie jamais
présenté sur écran. Si certains se reconnaîtront
dans son asociabilité, d’autres y verront les racines d’une
crise adolescente menée par la technologie tandis que les étrangers
de cette addiction resteront sous le choc de la dégringolade
du timide gamer. Ben X, film d’auteur postmoderne,
trouvera à coup sûr son public cible auprès d’une
clientèle d’adolescents dépourvus de repères
et d’adultes dépassés.
Quasi-pionnier dans la déconstruction du quotidien d’un
joueur virtuel invétéré, l'essence de Ben X
et de son personnage homonyme tient du miracle et de la torture. Maintenu
sur respirateur artificiel grâce à son jeu fétiche
et à son amante en ligne, Scarlite, ses proches ne peuvent se
résoudre à l’en détacher. En légalisant
cet échappatoire auprès de la famille, Ben devient un
personnage sans limite envers ses proches de plus en plus choqués
de sa situation et des nombreuses rumeurs d’incidents à
l’école qui suggèrent que leur fils se serait fait
humilié à la fin des cours et que ledit vidéo circulerait
sur Internet, synonyme de la dernière frontière pour Ben.
Envahi dès à présent par ses ennemis matériels
dans son monde virtuel, tout bascule et Ben se perdra dans une successions
de crises symptomatiques d’un personnage malade de la vie.
Malgré le fait que nous pourrions reprocher au scénario
d’inculquer à Ben un autisme servant plutôt de prétexte
à l’exagération de ses réactions, la perception
du monde par cet adolescent malade reste selon les témoignages
(le film est tiré d’une histoire vraie) extrêmement
véridique autant dans le récit que dans sa forme, son
style. L’impossibilité d’entretenir un contact humain
autrement que par le biais d’un ordinateur, l’obligation
de conserver son univers personnel en trimbalant partout son lecteur
MP3, la peur du jugement venant de la famille, des amis, des inconnus
du sexe opposé, sont des problématiques bien véridiques
parmi tant d’autres sur lesquels le film jette ses fondements.
Allergique à la société, Ben est contraint de voir
la vie à travers un tierce médium (sa caméra numérique)
qui agit sur lui comme seul mentor et guide des relations humaines.
Cette mine d'informations, arme secrète de Ben, forge aussi ses
hallucinations, seuls moments rédempteur de son existence, mais
sera de plus l'objet de sa catharsis. Si le problème ne concerne
pas la majorité de la population, il conscientise à tout
le moins son audience à ouvrir les yeux sur des plaies cachées
et utilisées de nos jours sous les termes de crises d’adolescences
et de rejet de nos compères.
Ben X est aussi fort, très fort techniquement. Quoique
nauséeux dans quelques plans de caméra à l’épaule
et lancinant à plusieurs reprises au défaut de ses ralentis,
la réalisation de Nic Balthazar arrive comme rafraichissante
dans le panorama mondial avec des arguments bétons pour justifier
tant de gratuités techniques qui plairont autant au cinéphile
aguerri qu’au spectateur moyen ou au typique joueur, fanatique
de science-fiction de série B. En effet, la narration des plans
se retrouve subtilisé au profit de la subjectivité de
Ben tout au long du film à coup d’angles de jeux vidéo
ou encore de changements d’angle de caméra qui obéissent
au doigt et à l’oeil aux désirs de notre joueur
compulsif (sans compter les plans voyeurs pris par sa caméra
numérique). Bref, aussi choquant que son dénouement, le
coffre à outil du réalisateur est mis à juste contribution
en surprenant par les arrêts sur images, les manipulations temporelles
et les changements brusques de l’esthétique de l’image
léchée.
Propulsé aussi par une première performance au grand écran
de Gregg Timmermans, Ben X se trouve finalement à être
un film rassembleur à une époque où la division
des clans sociaux se fait de plus en plus facilement. Si les années
70 avaient leurs hippies, les années 80 leurs nerds,
les années 90 leurs scientifiques, le début du nouveau
millénaire s’affiche décidemment sous la bannière
du jeu vidéo, prochaine activité multimédia de
groupe en liste pour se proclamer art à part entière.
Advenant que la tendance se maintienne (et rien n’annonce le contraire)
l’épidémie de l’esthétique ludique
(Doom), des «films dans un jeu» (La Matrice)
et du personnage sorti d’un jeu vidéo (Resident Evil)
ne s’arrêtera pas de si tôt, surtout lorsqu’on
aperçoit au loin la nouvelle vague de super héros prête
à nous envahir dès ce printemps. Nic Balthazar signe alors
un pied de nez à cette tendance; un détournement de la
mode commerciale pour l’autodétruire, pour reléguer
l’envahisseur virtuel au statut honteux d’épidémie
sociale. Critique acerbe de la méchanceté des castes sociales,
appel au secours des gens en détresse (qu’ils soient autistes,
gamers ou homosexuels), message de support lancé aux
parents pris au dépourvu, Ben X s’impose comme
un des films les plus rassembleurs de l’année sur le plan
de la conscience sociale et des dommages collatéraux de l’inaction.
Version française : -
Scénario :
Nic Balthazar
Distribution :
Greg Timmermans, Laura Verlinden, Marijke Pinoy,
Pol Goossen
Durée :
93 minutes
Origine :
Belgique, Pays-Bas
Publiée le :
5 Mai 2008