BEING JOHN MALKOVICH (1999)
Spike Jonze
Par Frédéric Rochefort-Allie
Chaque matin, comme des fourmis, nous nous levons, allons travailler,
revenons à la maison sans véritablement voir une fin à
ce cycle ad vitam eternam. N'avez-vous jamais rêvé
de quitter votre univers quelques instants et devenir quelqu'un d'autre?
Bien chez Lester Corp, ce désir devient réalité.
Oui, devenez membre dès maintenant et vous pourrez accéder
à l'esprit d'un acteur célèbre. Notre promotion
de la semaine, l'acteur John Malkovich.
Alors que l'ex-marionnettiste Craig (John Cusack) débute dans
la carrière de classeur de dossiers chez Lester Corp, le septième
étage et demi de l'édifice lui offre d'intéressantes
perspectives alors qu'il découvre une porte qui mène directement
à l'esprit de John Horatio Malkovich (John Malkovich). Quoi de
mieux pour arrondir ses fins de mois que de louer du temps à
l'intérieur du cerveau d'un acteur? En particulier lorsque votre
petite amie (Cameron Diaz) dirige un zoo modèle réduit
à l'intérieur de votre propre appartement.
Véritable coup d'envoi pour Charlie Kaufman, la superstar des
scénaristes, nul sait d'où proviennent ses idées
tordues. Bien que chacun de ses films possède sa propre identité,
on remarque comme chez le cinéma de Woody Allen que plusieurs
thèmes sont récurrents. Comme cette fascination pour le
cerveau, la prison et les dangers qui peuvent s'y receler ou l'échec
amoureux. Kaufman y ferait-il donc un autoportrait dissimulé?
Il faut reconnaître qu'il n'y a pas énormément de
différences entre un scénariste et un marionnettiste.
Dans les deux cas, le créateur tire les ficelles , doit littéralement
devenir un personnage pour que celui-ci puisse s'animer. Si Craig donne
des spectacles sur la rue, Kaufman travaillait dans l'ombre de plusieurs
émissions de télévision. Dans les deux cas, le
créateur est dégoûté par la torture de voir
d'autres artistes obtenir de la notoriété par la facilité.
On peut dénoter plusieurs comparaisons du même type entre
les deux personnages. C'est d'ailleurs cet élément qui
compose cette signature si unique de Kaufman. Ses personnages sont crédibles,
humains, avec leur part de défauts. Toutefois, le rythme s'avère
un peu lent dans son développement, mais les dialogues hilarants
captent notre intérêt. Pour son incursion au grand écran,
Kaufman frappe fort, très fort.
Travaillant majoritairement avec des réalisateurs de clips vidéos,
on exclue ici Monsieur George Clooney, Kaufman débuta avec le
réputé Spike Jonze, célèbre pour son clip
Sabotage des Beastie Boys et sa fausse troupe de danse amateure
dans le clip Praise You. Jonze, possédant une expérience
similaire à son scénariste dans les longs-métrages,
nous offre une réalisation originale, un look crasseux et sombre
qui rappelle d'ailleurs vaguement le Brazil de Terry Gilliam.
Nous sommes loin de l'utopie d'un monde rose bonbon. Jonze prouve sa
force et son génie par ses représentations d'images totalement
abstraites qu'il concrétise avec un humour noir particulièrement
grinçant. Par exemple, le fait d'entrer dans la tête de
quelqun d'autre. Si le projet était passé dans les mains
d'un autre, doutons que ses visions seraient aussi marginales face au
cinéma actuel. Des ébauches d'Eternal Sunshine of
the Spotless Mind sont d'ailleurs amorcées, sans en faire
son intérêt principal.
Bien évidemment, quand un film se déroule dans la tête
d'un acteur, il n'y a aucune surprise de l'apercevoir ici et là
au fil de l'intrigue. Malkovich est le pilier des personnages. Son interprétation
en tant que lui même le fait rayonner de charisme et de talent.
Lui et John Cusack forment une paire, une unité coulée
dans le béton, car leur personnage sont étroitement liés.
Cameron Diaz, qui jusqu'alors jouait la femme fatale au QI aussi clair
que le blond de ses cheveux, se révèle comme étant
une grande actrice largement sous-estimée dans le milieu. Bref,
de grandes présences à la hauteur de leur personnage coloré.
Somme toute, si c'est en forgeant qu'on devient forgeron, Jonze et Kaufman
ont alors un don inné pour nous avoir pondu l'un des films les
plus original des dernières années. Certains affirment
que ce n'était au départ qu'un coup de pratique de la
part de Kaufman, ce qui expliquerait les légères lacunes
scénaristiques. Mais au bout du compte, cette oeuvre aura permi
de relancer la carrière d'un acteur oublié. Comme dirait
celui-ci : Malkovich, Malkovich Malkovich Malkovich ! Un film brillant
mais légèrement inégal.
Version française :
Dans la peau de John Malkovich
Scénario :
Charlie Kaufman
Distribution :
John Cusack, Cameron Diaz, Catherine Keener, John
Malkovich
Durée :
113 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
4 Avril 2004