BEFORE THE FALL (2008)
F. Javier Gutiérrez
Par Mathieu Li-Goyette
« Après maintes tentatives de détruire un astéroïde
ayant la Terre comme destination d'impact final, je regrette de vous
annoncer que nous mourrons tous dans 72 heures. » De façon
vulgarisée, c’est à peu près le niveau de
sophistication général le plus élevé que
parvient à atteindre Before the Fall, film espagnol
puant l’excès dans tous ses recoins. Avec comme prémisse
la destruction totale de notre planète, on aurait pu espérer
assister à l’étude d’une situation critique
chez l’homme, à savoir l’appréhension, en
société, de la fin du monde. Bien entendu, si cette situation
aurait pu donner lieu à plusieurs scènes d’anarchies
et de réflexions testamentaires sur notre Histoire, le cinéaste
passe outre pour plutôt décider de nous y servir une transposition
postmoderne de La Nuit du Chasseur. Ainsi, grossière
montée de suspense, le film arrive à détruire l’intérêt
même de l’œuvre en indiquant d’emblée
que c’est peine perdue, que le monde court à sa perte ;
le tout avec le logo « game over » d’un jeu vidéo
en arrière-plan. Au risque de briser certains espoirs optimistes,
plusieurs trouveront utiles de savoir dès maintenant que le premier
long-métrage de Gutiérrez n’est pas de ceux qui
pourraient faire naître une nouvelle trilogie au cours des prochaines
années, et c’est bien heureux pour nous. Si fin définitive
il est pour y avoir, autant qu’elle arrive le plus vite possible.
Tres días (son titre original beaucoup plus juste) raconte
la fuite en campagne de l’oncle Ale et de sa mère. Cherchant
refuge chez son frère, il n’y trouve que ses quatre neveux
et nièces laissés pour compte et anxieux du retour de
leurs parents, mais surtout encore ignorants de l’armageddon imminente.
Réaction plausible à cette découverte, la mère
d’Ale convainc celui-ci de ne pas informer les enfants de la situation,
de les maintenir dans l’ignorance jusqu’à la fin,
puisqu’à quoi bon causer une panique désespérée
lorsqu’elle peut être évitée si facilement.
Insouciant, alcoolique et désillusionné de la religion
et de toute passion, l'oncle Ale se prête difficilement au jeu,
préférant faire à sa tête et vivre ses 72
dernières heures comme bon lui semble. Jusque-là, la division
des conflits familiaux semble intéressante, la retenue des adultes
face aux enfants innocents reste certes touchante et le cas de l’oncle
désabusé en anti-héros du désespoir reste
classique, mais efficace dans le genre.
Ce qui est on ne peut plus malheureux, c’est de voir l’écroulement
lamentable de ces bonnes idées au profit d’un film à
suspense inutilement exigeant et excessif dans ses mécanismes
foncièrement spectaculaires. Maison des enfants initialement
entourée de barbelés (un vrai camp de concentration!),
meubles complètement délabrés, paysages désertiques
; l’univers présenté est vétuste, d’une
crasse considérable qui fait penser que l’apocalypse annoncée
y est déjà en cours. Peu plausible dans sa direction artistique
et donc dans la mise au point d’une ambiance oppressante, le clou
du film consiste dans le retour d’un tueur d’enfants revenant
des limbes d’une vieille prison pour se venger de l’homme
qui l’aurait démasqué au préalable : le frère
d’Ale. L’homme en question ayant disparu, le tueur se rabat
sur ses enfants en tentant de se faire près d’eux, dans
un concept de siège quelque peu captivant autour de la maison
gardée par l’oncle se refusant de le tuer… avant
d’avoir confimé l'identité de l'opresseur. Coup
sur coup, les tentatives d’hommages lourds aux précédents
classiques du « pédo-psychopathe » (M le maudit,
Night of the Hunter, Cape Fear, etc.) s’enfilent
sans un brin de justification. Preuve qu’il ne suffit pas d’une
bonne fondation pour construire un bâtiment solide si le reste
n'est pour y être que recyclé par le biais d’un plaisir
beaucoup plus auto-suffisant qu’appliqué.
Ceci étant dit, l’aspect photogénique du film est
charmant, bien que rapidement répétitif. Allant de belles
utilisations des contrastes bruns et orangés, La tournure générale
s’envisage rouillée, corrosive, très inhospitalière
(c’est bien la moindre des choses). Contenant plusieurs fautes
impardonnables dues à une mise en scène puérile
qui n’hésite jamais à y aller de plans obliques,
de zoom-ins aggressifs et d’un montage plus qu'illégitime,
Guttiérez s’avère aveugle devant la gamme de possibilités
que son scénario original lui aurait procurées. À
perdre pied lors d’importants moments de tension, la série
d’artifices trop complexes qu’il nous lance en pleine figure
pour une scène déjà tendue provoque continuellement
un dédain de la surenchère et une espérance grandissante
de voir le film se terminer. Et c’est assurément ici que
réside le problème principal du long-métrage: abus
de l’image, performances inégales, tortures, musique et
décors délibérément primitifs recherchant
cet effet « âge de pierre » que ne parvient à
effleurer finalement que les dix premières minutes du film. On
se demande pourquoi donc rajouter cette fuite contre un tueur en série
démentiel. Lorsque la nature se déchaîne, les humains
doivent s’unir et non déchaîner leur courroux à
coups de clé anglaise. Le tempérament de l’homme
ainsi ignoré, on perd toute attache face aux survivants isolés
en gardant toujours en tête l’échéance imminente.
Au risque de paraître sadique, quelle importance de voir le brave
oncle Ale éclater la figure de l’assassin déséquilibré
si c’est pour périr cinq minutes plus tard. Rajoutons une
symbolique futile face à l’amour et la religion et vous
obtenez un film démontrant un gênant manque d’attention.
En définitive, Before the Fall ne satisfait que très
peu et n'impressionne, à la scène près, ni dans
l’esthétique fatidique du jeu vidéo, ni dans sa
réflexion ultime. S’il peut se vanter d’un fait d’armes,
c’est bien d’avoir accompli merveilleusement sa mission
peu louable d’être un slasher nihiliste et inconséquent.
Version française : -
Version originale :
Tres días
Scénario :
F. Javier Gutiérrez, Juan Velarde
Distribution :
Daniel Casadellà, Victor Clavijo, Mariana
Cordero, Ana de las Cuevas
Durée :
93 minutes
Origine :
Espagne
Publiée le :
28 Juillet 2008