BEFORE SUNSET (2004)
Richard Linklater
Par Frédéric Rochefort-Allie
Dans la lignée des: «Et si j'avais pu...», combien
de fois avez-vous regretté d'avoir laissé passer une chance
incroyable? Dans le même ordre d'idées que ses personnages,
Richard Linklater s'est demandé: «Et si neuf ans plus tard
je retentais le coup?». C'est donc pourquoi en 2004, il réajusta
le tir et fit preuve d'une grande audace en créant la suite d'un
film déjà culte et tant acclamé, le successeur
de Before Sunrise.
Jesse (Ethan Hawke), se trouvant à Paris pour le lancement de
son roman rerencontre Céline (Julie Delpy), neuf ans après
leur idyle d'une journée.
À la grande déception de plusieurs fans, Linklater a détruit
le mystère. Lui qui nous avait laissé rêveur à
propos du destin du couple est venu tirer le voile en réalisant
le deuxième volet de sa série des «Before...».
Maintenant, nous savons. Mais Linklater, n'étant pas idiot, fait
déclarer dès les premiers instants par l'intermédiaire
de Jesse que nous ne sommes pas obligés d'accepter ce nouveau
chapitre. Before Sunrise était Before Sunrise
et Before Sunset est lui aussi en quelque sortes indépendant
de son prédécesseur. Cependant, il est préférable
d'avoir vu Sunrise pour pleinement apprécier Sunset.
Le spectateur, choqué d'avoir été désillusionné,
se retrouve dans la même situation que Jesse et Céline
alors qu'ils ont en quelques sortes détruit le mythe de leur
journée à Vienne. Par l'écroulement des illusions,
Linklater démontre admirablement bien comme l'être humain
est complexe et évolue au fil du temps. La jeunesse n'est plus
et les choses ont changé. Jesse et Céline ne sont plus
les mêmes, bien qu'ils demeurent fondamentalement les mêmes
personnages. Si le scénario a mis plus de neuf ans à voir
le jour, c'est que Linklater ne l'a pas principalement écrit
seul cette fois. Il a été aidé de ses deux comédiens,
qui avaient chacun une image précise de ce que leur protagoniste
sont devenus. Before Sunset existe justement pour l'attachement
qu'on eu les cinéphiles pour Jesse et Céline. Ils sont
la raison d'être de toute l'oeuvre. D'où justement l'importance
d'avoir réussit encore une fois à bien les cerner. Une
suite de Before Sunrise s'obligeait d'une chose essentielle,
retrouver la magie de la première fois. Cette fois, non seulement
les dialogues sont plus réalistes, mais ils font aussi preuve
d'une plus grande maturité. Ils plongent plus profond, les scènes
sont plus émotives et une intrigue arrive à s'y dessiner
un peu plus entre la conversation qui débute au café et
le quai Henri 4 où le temps file.
Dans Waking Life, Linklater et un ami parlaient du cinéma
comme la recherche du moment magique, ce sentiment où la pellicule
peut capturer le réel. Before Sunrise visait ce même
idéal, mais Linklater étant encore un jeune cinéaste
à l'époque n'avait pas encore compris. Comment capturer
le réel si son film fait des éllipses? On pourrait donc
considérer Before Sunrise comme l'expérience
qui le mènera neuf ans plus tard a retenter le même but,
mais cette fois avec une plus grande maitrise de ses moyens. Ainsi,
Sunset n'est plus qu'une longue séquence continue qui
ne se termine qu'à la fin de l'oeuvre, et de main de maitre est-il
important de souligner? La linéarité surprenante de l'oeuvre
n'est pourtant pas simplette. Linklater a réalisé un film
en temps réel, mais qui à l'instar de The Rope
ou The Russian Ark, le film est composé de plusieurs
plans et non pas d'un seul et unique. Ceci donne lieux à d'impressionnantes
séquences comme un long monologue de plus de cinq minutes en
travelling arrière, sans coupe. Le film fait en quelque sorte
un mélange entre le cinéma européen et le langage
du cinéma américain. Il est donc à l'image du couple
illustré dans cette oeuvre. Linklater insiste beaucoup sur cet
aspect, ajoutant même du Nina Simone dans sa trame sonore.
Comme dans Sunrise, Ethan Hawke et Julie Delpy semblent tout
à fait à l'aise avec leur personnage. L'authenticité
qu'ils dégagent est encore une fois étonnante. Peut-être
est-ce justement un effet logique de leur collaboration au scénario
qui contribue à les rendre plus convaincus de ce qu'ils expriment?
Ethan Hawke y trouve encore une fois un rôle à sa mesure,
où son interprétation est beaucoup plus crédible
que la parodie de jeune policier qu'il incarnait dans Training Day
et Julie Delpy incarne merveilleusement bien Céline, lui insufflant
une vivacité et une intensité qui surpasse largement son
interprétation précédante. D'ailleurs, le duo des
acteurs donne lieux à quelques scènes mémorables
par l'intensité de leur jeu toujours aussi crédible. Les
deux comédiens sont si fascinants que les quitter à la
fin du générique devient déchirant. C'est alors
que l'on regrette que toute cette belle histoire ne soit que fiction.
Au bout du compte, le petit dernier de Linklater donne la même
impression qu'une retrouvaille avec de bons vieux amis. Jesse et Céline
nous entrainent dans un voyage fascinant, non pas seulement par le paysage
fabuleux qu'il présente, mais aussi par sa fresque réaliste
et émouvante de l'écroulement des illusions et d'un amour
perdu. Before Sunset est non seulement une des meilleures suites
de l'histoire du cinéma, c'est aussi l'un des meilleurs films
de Richard Linklater et l'un des meilleurs de 2004, toutes nations confondues.
Son seul défaut aura été d'avoir bouclé
la boucle sur une série qui aurait bien pu se résumer
en une seule et même oeuvre. Il est regrettable que ce film ait
été boudé parmi les divers prix internationaux
au profit de quelques titres omniprésents (pour ne nommer que
Sideways) qui ont fait de l'ombre sur bien de belles petites
trouvailles comme ce petit bijou du cinéma d'auteur américain.
Version française :
Avant la nuit tout est possible
Scénario :
Richard Linklater, Kim Krizan
Distribution :
Ethan Hawke, Julie Delpy, Vernon Dobtcheff, Denis
Evrard
Durée :
80 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Février 2005