BEFORE SUNRISE (1995)
Richard Linklater
Par Frédéric Rochefort-Allie
Dans un très beau moment de Citizen Kane, un personnage disait
à quel point il pensait à une étrangère
qu'il avait croisé du regard il y a fort longtemps. Inspiré
un peu par cette idée, le film Before Sunrise, par le
cinéaste Richard Linklater, est venu teinter un peu d'humanisme
le genre ultra-saturé qu'est devenu la comédie romantique
au début des années 90. Comme n'importe quel film du réalisateur,
le but est simple: viser le réel.
L'histoire, s'il est possible d'en décrire une, est celle d'un
jeune américain qui rencontre une jeune française et qui
l'invite sur un coup de tête à faire le tour de Vienne
avec lui. Le seul hic: ce dernier tout comme sa compagne doivent continuer
leur chemin le lendemain.
Oubliez ces histoires où l'amour emporte tout, où l'amour
insurmontable triomphe sur tous les maux du monde. Bref, revenons à
la réalité du quotidien, voilà ce que propose précisément
Before Sunrise. Tout est dans le dialogue, dans la suite de
cette conversation qui prend source sur un banc de train. Nos deux protagonistes
sont donc constamment dans la mire de Linklater, qui ne leur lâche
jamais prise. Les personnages deviennent ainsi rapidement familiers,
car nous n'avons d'autres préoccupations que de les suivre déambulant
dans les rues de Viennes. Fondus dans le décors, certains personnages
interviennent parfois pour alimenter les conversations, proposer de
nouvelles réflexions, mais aucun ne vient bouleverser entièrement
le cours du récit. Tout se joue entre cet Américain et
sa compagne française. Un peu comme dans Waking Life,
Linklater maitrise parfaitement la fluidité et la profondeur
de ses dialogues, d'où ce réalisme et cette originalité
qui émane tant du style du cinéaste. Or, il est important
de spécifier que certaines réflexions amorcées
par Before Sunrise ne seront proprement développées
que dans Waking Life. Ce qui explique d'ailleurs à quel
point les films de Linklater sont, d'une certaine façon, si interreliés
tout en étant totalement différents.
Cette fois, au lieu de faire dans le dessin animé psychédélique,
Richard Linklater adopte une approche minimaliste. La caméra
n'est plus qu'un témoin de ces différents moments de vie
des personnages. D'une réalisation bien sobre, Linklater ne s'efface
tout de même pas totalement. C'est sa direction d'acteurs qui
prédomine et le regard qu'il porte sur Viennes qui vient créer
cette énergie particulière que dégage les vielles
rues de la ville, un personnage en elles-mêmes.
Before Sunrise n'existerait pas sans ses deux acteurs principaux,
qui évidemment sont particulièrement habiles dans leurs
rôles respectifs. Ethan Hawke, qui n'a rien d'un grand acteur,
semble né pour le rôle qu'il endosse. Un type un peu prétentieux,
individualiste, bref l'image même de l'Américain de sa
génération. Incarnant sa compagne, Julie Delpy semble
constamment incarner le même personnage depuis environ dix ans,
mais elle le fait tout de même très bien. Pour une fois
qu'une Française n'est pas représentée comme une
nymphomane froide et chialeuse tel que le véhicule le cliché
du cinéma américain. Cette femme, sous les traits de Delpy,
est chaleureuse tout en étant réservée et démontre
à la fois maturité et innocence. Le couple forme un étrange
duo, mais c'est justement ce qui nous pousse à les suivre.
Plus crédible et plus profond que les autres films de son genre,
Before Sunrise est certainement une des meilleures comédies
romantiques américaines des dernières années. Bien
que moins originale que les Eternal Sunshine, Punch Drunk
Love ou Annie Hall de son genre, c'est sa crédibilité
qui frappe le plus. À voir avec ou sans sa suite, parce qu'au
fond, ce film peut ou non accepter la réalité proposée
dix ans plus tard.
Version française :
Avant l'aube tout est possible
Scénario :
Richard Linklater, Kim Krizan
Distribution :
Ethan Hawke, Julie Delpy, Andrea Eckert, Hanno
Pöschl
Durée :
105 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
7 Février 2005