LES BEAUX GOSSES (2009)
Riad Sattouf
Par Jean-François Vandeuren
L’adolescence telle que définie par la horde de teen
movies hollywoodiens qui défilent sur les écrans
chaque année est en soi un bien drôle de phénomène.
Loin des préoccupations beaucoup plus sérieuses d’un
Larry Clark, les artisans de ce type de cinéma - dont les standards
semblent tout simplement inexistants - nous proposent la plupart du
temps que des récits sans saveur ne témoignant d’aucune
réalité concrète, si ce n’est de celle idéalisée
par les médias et les magazines. Nous n’avons du coup affaire
qu’à des individus beaux et bêtes parmi lesquels
naîtra une histoire d’amour improbable devant enfin rendre
justice à toutes ces personnes si généreuses et
attentionnées qui passent pourtant toujours complètement
inaperçues. C’est dans une telle conjoncture que le cinéaste
et bédéiste français Riad Sattouf nous livre aujourd’hui
en guise de premier long-métrage ce délirant ovni que
constitue Les Beaux gosses. C’est d’ailleurs en
amplifiant d’une manière volontairement ridicule les moindres
caractéristiques de son univers et de ses personnages que le
réalisateur réussit à se rapprocher du quotidien
de ces jeunes gens aux prises avec tous les problèmes et symptômes
reliés à la puberté. Le film suit les mésaventures
d’Hervé, un adolescent de quatorze ans un peu coincé,
et de Camel, un amateur de musique heavy metal arborant une coupe Longueuil
particulièrement imposante. Deux garçons impopulaires
d’un collège de Rennes qui tenteront par tous les moyens
de se rapprocher des membres de la gente féminine. Le souhait
d’Hervé sera un jour exhaussé alors qu’il
commencera à fréquenter Aurore, l’une des filles
les plus en vue de sa classe. Leur histoire n’aura cependant rien
d’un conte de fées alors qu’Hervé devra vite
composer avec sa maladresse et une série d’humiliations
qui l’amèneront, évidemment, à prendre de
la maturité, mais aussi à saisir le sens de ses propres
actions.
L’image faussement proprette défendue par la majorité
des productions états-uniennes est d’ailleurs brisée
dès les premiers instants du présent effort. La caméra
de Sattouf se trouve à ce moment à une distance particulièrement
intimidante du visage d’un étudiant boutonneux et de celui
de sa copine qui, pour leur part, ne se gênent pas pour s’embrasser
goulûment. Le tout sous le regard abasourdi d’Hervé
et de Camel, condamnés à assister impuissants à
cette scène dans laquelle ils auraient sûrement bien aimé
jouer. C’est aussi à partir de cette séquence que
les talents de bédéiste de l’artiste français
commenceront à se faire sentir à l’écran.
Il faut dire qu’il n’y a en soi aucun détail de ce
spectacle farfelu qui ne semble pas avoir été «
soigneusement » caricaturé par le réalisateur. Une
initiative qui est évidemment visible d’emblée dans
l’apparence de ses protagonistes, notamment au niveau des traits
du visage et des costumes, mais aussi dans la façon dont ceux-ci
se comportent et interagissent avec leurs pairs. L’un des meilleurs
exemples à cet effet demeure la série de passages savoureux
mettant en vedette Hervé et sa mère quelque peu envahissante,
qui ne se gêne jamais pour tourner en dérision les moindres
facettes de la vie de son fils. Ainsi, au-delà d’une facture
nous donnant souvent l’impression d’avoir affaire à
un véritable dessin animé ambulant, l’essence des
Beaux gosses se situe dans cette façon étonnamment
franche et lucide dont l’artiste parle de l’adolescence
en conférant une âme et un caractère propre à
chacun de ces personnages qu’il aura d’abord vus grandir
sur l’une de ses planches à dessin. En plongeant ceux-ci
dans une suite d’événements incongrus et légèrement
déphasés, Sattouf et son coscénariste Marc Syrigas
seront parvenus à exprimer toute la bêtise, la naïveté
et la cruauté propres à cette période ingrate et
on ne peut plus trouble de l’existence humaine.
Le film de Riad Sattouf constitue également un étrange
objet de mise en scène alors qu’il s’inscrit dans
cette catégorie d’efforts évoluant en marge d'une
réalité présente à laquelle ils cherchent
pourtant par tous les moyens à se conformer. Les Beaux gosses
est ainsi constitué de situations et de personnalités
avec lesquelles n’importe quel spectateur se sentira immédiatement
familier, même si la nature de celles-ci a évidemment été
ici quelque peu exagérée, pour ne pas dire carrément
parodiée. Sans jouer dans les mêmes ligues, le présent
effort arrive malgré tout à un moment opportun alors que
les productions traitant de préoccupations purement adolescentes
auront connu un certain regain de vie au cours des dernières
années grâce, entre autres, à la vulgarité
parfaitement assumée du Superbad de Greg Mottola. Mais
si les personnages de Sattouf ne se gènent pas pour débiter
une quantité tout de même assez impressionnante d’obscénités,
les dialogues de ce dernier s’inscrivent pour leur part dans un
contexte qui se veut, lui, réellement juvénile, et donc
forcément immature. Il y a également certains liens à
tisser entre Les Beaux gosses et le désopilant Napoleon
Dynamite de Jared Hess. Délaissant les couleurs flamboyantes
et délavées de l’opus de 2004 au profit d’une
palette de couleurs beaucoup plus ternes, le film de Sattouf révèle
néanmoins un goût tout aussi affirmé pour le kitsch
et les éléments rétro. La facture visuelle de ce
dernier se démarque également de par la façon dont
la composition de chaque plan semble vouloir faire directement écho
à celle d’une case de bande dessinée. Un concept
qui est d’ailleurs parfaitement appuyé par un montage fluide
et dynamique jouant un rôle primordial dans l’efficacité
comique de l’ensemble, tout comme cette impressionnante distribution
formée en majeure partie de non-acteurs dont le jeu demeure toujours
dans le ton voulu.
Surprise pour le moins inattendue de la dernière cuvée
cannoise, Les Beaux gosses se révèle une oeuvre
hilarante, et même étrangement attendrissante. Possédant
visiblement un don inné pour la comédie, l’artiste
français réussit à garder un parfait équilibre
tout au long de son premier long-métrage en misant autant sur
la remarquable efficacité de ses dialogues que sur une forme
d’humour un peu plus cabotine, laquelle ne se révèle
fort heureusement jamais forcée. Il faut dire que la maîtrise
exercée par Sattouf sur son univers lui permet d’aller
soutirer constamment une nouvelle situation comique dans les moindres
recoins de sa production, que celle-ci soit inhérente à
l’action ou qu’elle se déroule en arrière
plan. Ainsi, ce divertissement qui aurait très bien n’être
qu’un simple plaisir coupable pour un public mineur s’avère
être au final un véritable bonheur de cinéphiles.
Sujet de prédilection depuis le début de sa carrière,
Sattouf se sert ici de sa grande compréhension de l’adolescence
pour traiter avec la même intégrité tous les personnages
de son film, n’hésitant pas à pointer du doigt la
superficialité et le manque d’empathie d’Hervé,
lui qui en aura pourtant payé les frais plus tôt dans le
récit. Le tout en ne cherchant jamais à être moralisateur
ou à faire de fausses promesses à son public, mais en
réussissant néanmoins à livrer une belle leçon
de vie. Le réalisateur se montrera particulièrement habile
lors d’une séquence étonnamment touchante durant
laquelle Hervé récoltera finalement le fruit de ses propres
erreurs, enchaînant aussitôt avec un montage musical qui
amènera son histoire un an plus tard alors que tout aura fini
par reprendre son cours. Ce dernier aura bien compris qu'un drame personnel
est nécessaire dans l'évolution d’un individu, mais
qu’il ne signifie pas forcément la fin du monde, comme
nous sommes souvent portés à le croire à cet âge…
Version française : -
Scénario :
Riad Sattouf, Marc Syrigas
Distribution :
Vincent Lacoste, Anthony Sonigo, Alice Trémolière,
Julie Scheibling
Durée :
90 minutes
Origine :
France
Publiée le :
31 Octobre 2009