BATMAN (1989)
Tim Burton
Par Alexandre Fontaine Rousseau
En bout de ligne, le débat à savoir lequel des deux Batman
réalisés par Tim Burton s'avère supérieur
tourne autour d'une fausse confrontation entre deux films foncièrement
différents l'un de l'autre. L'excellent Batman Returns
n'est pas l'adaptation d'une bande dessinée, mais plutôt
un film de Tim Burton mettant par hasard en vedette un célèbre
personnage de l'univers populaire des comic books américains.
Le sombre conte gothique qu'il livra en 1992 frustra Warner et consterna
le grand public, qui l'accusa d'être beaucoup trop grave et violent
pour être vu par des enfants. De son côté, le Batman
de 1989 demeure le troisième film le plus rentable paru durant
cette décennie. Même s'il arbore clairement l'inimitable
signature du maitre Burton, Batman demeure un blockbuster de
grande envergure fait dans les règles de l'art. Cependant, c'est
dans ce genre précis un produit d'une qualité et d'un
raffinement sans grand égal que l'on visionne encore aujourd'hui
avec un franc plaisir.
Film se distinguant d'abord et avant tout par son esthétique
soignée, Batman n'a presque rien en commun avec le sombre
carnaval hivernal de son cauchemardesque successeur. C'est plutôt
un hommage visuel relevé aux films de gangsters des années
40 assaisonné à la sauce fantastique. En plongeant son
film dans cette atmosphère, Burton livre un néo-film noir
aux reflets d'expressionnisme allemand qu'il déguise en aventure
de super héros. Toutefois, il ne peut s'empêcher quelques
clins d'oeil gothiques et s'amuse à terminer le tout dans le
clocher d'une gigantesque cathédrale, où il peut employer
à sa guise gargouilles et autres détails architecturaux
qui nourrissent depuis toujours son univers visuel.
Batman est un film formidablement superficiel en ce sens que Burton
évacue toute psychologie pour plutôt jouer la carte de
la caricature éclatée. Au contraire du Batman Begins
de Christopher Nolan, cette incarnation du célèbre héros
et de Bruce Wayne demeure certes assez unidimensionnelle. Le scénario
implante bel et bien quelques informations de base sur le passé
trouble de Wayne, question de situer tout le monde et d'offrir une solide
ébauche de conflit interne. Mais dès qu'il en a la chance,
c'est sur le formidable Joker qu'incarne Jack Nicholson que le réalisateur
aiguille le trajet de son film. Tout tourne autour du bouffon mégalomane
et de sa folie. Encore ici, les motivations ont peu d'importance. Interprétant
un solide Jack Napier qui a tout d'un Jack Torrance encore plus ouvertement
débile, Nicholson s'en donne à coeur joie et offre un
jeu généreux et théâtral. Qui s'offusquera
de voir que le scénariste Sam Hamm a complètement trafiqué
les origines du personnage lorsque le résultat est aussi amusant
à voir se démener à l'écran?
Les puristes, sans contredit, auront beaucoup à redire sur le
film. Mais les cinéphiles seront pour leur part hautement satisfaits
par le travail du réalisateur de Beetlejuice. Burton
tourne la plupart de ses scènes d'action avec humour et économie
de moyens. Au contraire des montages inutilement saturés des
films de Nolan et de Schumacher, Burton tourne ses séquences
de combat en quelques plans clés bien cadrés plutôt
que d'assommer le spectateur avec une avalanche de plans flous ou une
orgie de cadrages biscornus. Cette élégance s'explique
du fait que pour Burton, les décors sont ici aussi importants
que ce qui s'y déroule.
Triomphe glorieux du style sur la substance, Batman premier
charme parce qu'il arrive à suggérer un univers dur et
glauque aux antipodes de l'esthétique kitsch de la série
des années 60 sans oublier sa vocation de divertissement léger.
On pourrait tenter de se pencher sur cette exploitation systématique
de la cupidité qu'utilise le Joker comme arme, ou noter que le
gros du duel entre Batman et son adversaire est médiatique et
orienté sur la perception d'un grand public. Mais ce dont on
se souvient vraiment, c'est de ce splendide univers que crée
une fois de plus un Burton ici au sommet de sa forme mais plus subtil
qu'à l'habitude dans l'expression de ses préférences
stylistiques personnelles. Exemple raffiné d'équilibre,
ce Batman vaut encore son pesant d'or et n'a pas pris une ride
malgré quelques chansons de Prince qui rappellent la décennie
de sa parution.
Version française :
Batman
Scénario :
Sam Hamm, Warren Skaaren
Distribution :
Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Pat
Hingle
Durée :
126 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
26 Juin 2005