LA BATAILLE D'ALGER (1965)
Gillo Pontecorvo
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Réalisé à Alger même, et ce moins de trois
ans après l'obtention de son indépendance, La bataille
d'Alger de Gillo Pontecorvo demeure un formidable monument d'une
certaine forme de cinéma engagé des années 60.
Les conditions dans lesquels fut tourné le film du réalisateur
italien méritent à elles seules le respect. Dans un geste
qui relève à la fois du journalisme et de la création
artistique, Pontercorvo et son équipe osent dès 1965 retourner
dans la Casbah où ont lieu les évènements rapportés
par le film. Leur objectif est de récréer dans un style
réaliste, en employant surtout des non-professionnels, les grandes
lignes de la révolte populaire de 1957. La crédibilité
époustouflante des scènes du soulèvement de décembre
1962 leur donne presque raison. Mais le souci de l'exactitude qui les
anime est fondamentalement idéaliste.
Fondamentalement idéaliste parce que cette «dictature de
la vérité» que défend Pontecorvo est en profonde
opposition avec les mécanismes de la création filmique.
Les techniques de base du langage cinématographique, des techniques
que l'Italien utilise ici avec brio, voilent et déforment la
réalité. Dès lors, il serait possible d'étudier
le geste du réalisateur avec une certaine condescendance. Croire
que le cinéma est dicté par la réalité,
alors que l'on sait pertinemment bien que le cinéma dicte les
normes de sa propre réalité, est une illusion belle mais
profondément naïve. Toutefois, le résultat final
commande le respect et justifie presque les grandioses déclarations
de son créateur.
La bataille d'Alger est non seulement un film admirable mais
un acte tangible, courageux et inspirant. Son mérite dépasse
amplement le simple cercle de la théorie cinématographique
et déborde jusque dans le monde réel. Il fait dès
lors partie de cette race à part de films dont les convictions
se transforment en action. En ce sens, il devient insignifiant de savoir
si Pontecorvo croit réellement que le cinéma peut devenir
une forme de transmission fiable de la réalité. Son oeuvre
de fiction, ainsi que la position qui y est prise, est foncièrement
humaine. C'est à ce moment que le cinéma frôle la
vérité. C'est dans ces conditions qu'il prend toute sa
valeur.
Ici, Pontecorvo tente tant bien que mal de traiter tous ces sujets de
façon juste et équitable. Il n'y arrive jamais parfaitement.
Ironiquement, c'est en cet échec que son film va puiser toute
sa force. Dans le choix des plans, dans la façon de monter, Pontecorvo
vient appuyer les membres du FLN. Cependant, il établit clairement
la croyance fondamentale qui éclaire son regard et par le fait
même celui de sa caméra: la valeur de la vie humaine sera
toujours supérieure à celle des idéaux qui animent
les luttes fratricides de l'homme. C'est pour cette raison que la même
musique sert à souligner la mort de martyrs algériens
et de Français innocents. C'est pour cette raison que les héros
implicites de cette histoire sont les hommes à la fois de principes
et de raison. En quoi un cadavre sert-il une cause?
Dans le même élan de subjectivité involontaire,
La bataille d'Alger dénonce subtilement la logique inébranlable
de la pensée militaire. Le colonel Mathieu, dirigeant de l'armée
d'occupation française, le déclare formellement: «Nous
sommes des soldats, et notre devoir est de vaincre.» Il écarte
toutefois la solution facile de faire porter à l'armée
tous les torts des hommes. «La France doit-elle rester en Algérie?
Si vous répondez encore oui, alors vous devez en accepter toutes
les conséquences nécessaires.» La scène de
torture déchirante qui suit définira clairement ce que
sont ces fameuses conséquences nécessaires.
Cette conférence de presse n'est que l'un ces multiples moments
du film de Pontecorvo où les dialogues frappent autant par leur
limpidité et leur simplicité que par leur étonnante
richesse. Alors que d'une certaine façon s'établit actuellement
à travers le monde un colonialisme nouveau, qu'il soit américain
en Irak ou israélien en Palestine, le film de Pontecorvo prouve
que sa force de frappe n'était pas aussi éphémère
que ne le prétendait à l'époque ses détracteurs.
La bataille d'Alger demeure encore aujourd'hui un document
cru et poignant des conséquences inévitables d'une occupation
forcée sur une terre étrangère. Ici, la forme épouse
formidablement bien le fond. L'histoire dit que Paul Newman fut durant
un certain temps considéré comme protagoniste principal
du film. Sa présence aurait détruit cette illusion formidable
qu'arrive à maintenir Pontecorvo tout au long de son film. Pendant
deux heures, le spectateur a l'impression d'être plongé
au coeur de l'action. De façon presque perverse, la grande magie
du cinéma s'opère une fois de plus.
Version française : -
Version originale : Battaglia di Algeri, La
Scénario : Gillo Pontecorvo, Franco Solinas
Distribution : Brahim Haggiag, Jean Martin, Yacef Saadi, Samia
Kerbash
Durée : 117 minutes
Origine : Algérie
Publiée le : 16 Juin 2005
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