BARBIERS : UNE HISTOIRE D'HOMMES (2006)
Claude Demers
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Une fois de plus, le documentaire québécois renoue avec
le vécu des tenants d'une tradition condamnée à
s'effacer. Autrefois, c'était cette pêche aux marsouins
que tentait de ranimer Pierre Perrault. Hier encore, on rencontrait
le vieil épicier Roger Toupin que l'embourgeoisement du Plateau
Mont-Royal chassait du quartier. Aujourd'hui, ce sont quelques barbiers
de la Petite Italie et d'un peu partout dans la belle province qui se
confient à la caméra de Claude Demers. Barbiers: Une
histoire d'hommes nous plonge dans un univers condamné à
disparaître, celui de cette poignée de barbiers à
l'ancienne qui a vieillie au même rythme que sa clientèle.
Film s'attardant sur le passage inaltérable du temps, ce Barbiers
du réalisateur de L'invention de l'amour s'amuse surtout
à dépeindre les commerces qu'il visite comme s'il s'agissait
des derniers bastions encore intacts d'une masculinité dépassée.
Le regard empreint d'affection que pose Demers sur ce machisme d'une
autre époque irritera sans doute certains esprits bien-pensants
qui hurleront à l'atteinte au féminisme.
Pourtant, Barbiers n'a rien d'un portrait nostalgique de cette
époque où la femme-objet était tenue à l'écart
de l'univers viril des hommes. Les personnages que nous présente
le film de Demers nous forcent par leur comportement légèrement
anachronique à réfléchir à la perception
du mâle dans la société québécoise
actuelle: les analystes mentionnent régulièrement cette
masculinité frustrée s'exprimant par des voies violentes
- le gansta rap, notamment - et cette image que cultive aujourd'hui
la publicité et le cinéma populaire du nigaud bon enfant
observé de manière condescendante et affectueuse à
la fois par une femme aussi patiente qu'elle est intelligente. Peut-être
est-ce la disparition de ces asiles sacrés où s'échangent
en paix les blagues grivoises qui a précipité la «
chute de l'homme moderne »? Quoiqu'il en soit, on ne peut s'empêcher
de dresser un parallèle entre ces petits commerces et le vestiaire
des Boys, par exemple.
Au-delà de cette question sensible qu'il soulève sans
réellement l'approfondir, Une histoire d'hommes a le
mérite - à l'instar des films de Benoît Pilon auxquels
on ne peut s'empêcher de le comparer - de nous introduire à
des gens que l'on dira francs, authentiques, chaleureux, simples et
vrais. Autour de cette galerie d'anciens sympathiques, tour à
tour drôles et touchants, s'articule toute la tristesse et la
beauté du vieillissement. Cette admiration de l'ancêtre
et de la tradition s'inscrit en opposition au culte de la jeunesse que
proposent normalement les images diffusées au petit comme au
grand écran. Elle dénote un apprivoisement du dépérissement
naturel par l'entremise de cet entrelacement de portraits d'hommes qui
acceptent, non sans une certaine nostalgie, la disparition de leur art.
Barbiers est un film sur l'acceptation de l'inévitable.
Malgré les thèmes sérieux qu'il aborde, ce documentaire
n'est en rien lourd ou indigeste. Bien au contraire, Demers signe une
oeuvre à la fois drôle et humaine qui se laisse écouter
avec un vif plaisir. Voici un véritable cinéma de la parole
laissant toute la place aux intonations et aux expressions pleines de
caractère de ses sujets; impossible, par exemple, de ne pas sourire
en entendant l'appropriation par ces vieux barbiers grecques et italiens
de nos jurons les plus typiques. Dans la plus pure tradition du directe,
Barbiers est un film fasciné par le langage et l'individu.
Qu'ils soient seuls ou entourés par quelques clients fidèles,
ces personnages semblent vivre dans une autre époque sans trop
se faire de bile quant à l'avenir de leur profession. Leur génération
laisse progressivement sa place à la suivante. En attendant,
ils continueront d'offrir ce petit îlot de réconfort à
ceux qui, comme eux, perpétuent le souvenir d'une époque
aujourd'hui révolue. Film sur la mémoire, la communauté
des hommes et l'acceptation du vieillissement, Barbiers: Une histoire
d'hommes se démarque par son humanité attendrissante
tout en posant au passage quelques questions plus sérieuses.
Cette oeuvre aussi généreuse que chaleureuse s'inscrit
dans une certaine tendance actuelle du cinéma documentaire québécois
sans trop se démarquer par son originalité, mais s'avère
dans l'ensemble sensible. Le film automnal léger et mélancolique
que vous espériez tous est enfin arrivé!
Version française : -
Scénario :
Claude Demers
Distribution :
Michel Bilotto, Normand Boisvert, Jacques Boutin,
Stefano Cella
Durée :
78 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
16 Octobre 2006