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LE BANQUET (2008)
Sébastien Rose

Par Louis Filiatrault

À quand remonte le dernier grand film politique québécois? Depuis la deuxième défaite référendaire (et même avant celle-ci), force est d'admettre que les choses se sont faites calmes du côté de ce « genre » vaguement défini. Certes, un militant comme Pierre Falardeau s'active encore les plumes à l'occasion pour entretenir la flamme nationaliste, tandis que des cinéastes rares comme Denis Chouinard ou Jean-Daniel Lafond se permettent une fois par jamais une démonstration d'engagement à petite échelle. C'est aussi quelque chose comme la fin de tout espoir que finissait par déclarer Denys Arcand, autrefois grand chroniqueur des changements et problèmes de société, avec Les Invasions barbares. Il faut donc réellement se rapporter aux années 70 pour reprendre contact avec un cinéma québécois dont la conscience sociale était forte, partagée, ou du moins agitée par le goût du commentaire. C'est dans la pleine connaissance de cet état de fait que semble s'être élaboré Le Banquet, film d'une charge politique anormalement imposante au sein d'un paysage dominé par la légèreté. Et s'il n'atteint pas encore un niveau de cohérence ou de pertinence qui ferait de lui un véritable incontournable, le troisième long-métrage de Sébastien Rose a surtout le mérite de dépasser l'anecdote dans l'espoir d'ouvrir un dialogue plus large.

Professeur de scénarisation à l'UQÀM au moment des revendications étudiantes pour une révision des transferts de bourses d'études en prêts, le scénariste du Banquet (et père de Sébastien Rose) a vraisemblablement tiré son inspiration d'une réalité personnelle accablante et voulu communiquer ses impressions sur la situation. Cependant, là où un Âge des ténèbres étouffait tout le mince potentiel de son récit en forme de liste d'épicerie par le recours à un seul point de vue désillusionné, le scénario d'Hubert-Yves Rose bénéficie de plusieurs choix de développement qui élèvent son propos, à commencer par l'absence de réel personnage principal. Comme c'est presque toujours le cas, la multiplication des sujets actifs tend à réduire la portée individuelle de leur psychologie et de leurs actions ; elle renforce néanmoins leur charge symbolique, et fait du Banquet quelque chose comme une partie d'échecs où se disputerait l'avenir d'une société. Une partie qui ne compterait, pour l'instant, aucun vainqueur...

En phase totale avec une certaine manière de film choral contemporain, l'oeuvre entrecroise donc les itinéraires d'un professeur de scénarisation (tiens donc...) et d'un élève étrangement harcelant, du doyen d'une université de Montréal (demeurant sans nom...) et de sa fille récemment sortie de désintoxication, ainsi que ceux des meneurs peu compatibles du mouvement étudiant (l'un pacifiste idéaliste, l'autre plus épris de gloire et de casse). On le comprend vite, Le Banquet fictionnalise le sujet de la récente grève étudiante pour mieux se diriger vers une réflexion sur la transmission du savoir, et fait état du sempiternel gouffre générationnel tel qu'il se définit présentement au Québec (l'intention des créateurs n'étant pas d'en dépasser les frontières). Et si le constat qu'ils dressent est loin d'être rose, le mérite leur revient d'avoir évité le psychologisme et laissé parler les conflits interpersonnels: l'incompréhension entre un parent et sa progéniture, l'hésitation de la jeunesse face aux perspectives d'avenir, l'admiration pour le maître et la confusion de celui-ci devant des actes en apparence irrationnels se donnent ainsi comme tels, à l'état brut. Si bien que l'éloquence dépouillée des situations, ainsi que l'excellent jeu des acteurs, tendent à compenser les faiblesses d'un texte se faisant parfois trop appuyé (« énonciatif », dirait lui-même Hubert-Yves Rose selon des sources sûres...).

Heureusement, le film de Sébastien Rose ne se contente pas d'être politiquement chargé dans son contenu, mais l'est aussi dans sa mise en scène, démontrant un réel parti pris de militantisme. La réalisation de ce brûlot ne fait pas de quartier, ne propose aucun échappatoire ludique ; lorsque des gens n'y bavardent pas des problèmes qui les habitent à ce moment de leur existence, sa seule trame sonore est celle des tam-tams et des slogans révolutionnaires. Mais là où le tout aurait pu s'avérer étouffant et essoufflant (quelques longueurs dans la première partie détonnent par ailleurs avec la densité des développements plus tardifs), l'intégrité et l'inspiration du réalisateur suscitent plutôt l'admiration. Rose comprend le potentiel dramatique d'une caméra nerveuse, mobile et collée aux personnages, et ne rate jamais une occasion d'alimenter une imagerie proche de celle des frères Dardenne, ou encore des figures les plus mémorables de 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Avec l'aide de ses monteurs, il a également déniché un nombre impressionnant de raccords percutants, qui entretiennent la tension ambiante. Finalement, il se dégage de la progression hostile de ces conflits multiples un air d'inévitable fatalité ; impression débouchant sur un dernier acte surprenant et bouleversant de violence, appelant le souvenir des massacres scolaires des dernières années tout en constituant un cri d'alarme des plus provocants. L'appel au silence qui le suivra n'aurait pu sembler plus approprié...

Le « banquet » titulaire réfère à Platon et à son espace métaphorique de dialogue. Le film s'affirme ainsi ouvertement, pour le meilleur et pour le pire, comme objet de discussion forcément incomplet. En ce sens, ceux qui approcheront l'oeuvre en espérant y trouver la confirmation de leurs propres opinions face à la légitimité de la grève, voire à l'incompétence de la formation au sens plus large, risquent d'être fort déçus par sa proposition ; en effet, Rose père et fils se montrent particulièrement critiques à l'égard de l'arrogance, de la paresse ou de l'indécision des jeunes, sans pour autant épargner la vieille garde qui a vu ses principes s'évaporer au profit de douceurs plus confortables. Le seul gardien valable de l'héritage semble encore le professeur spécialisé, sa passion et sa désorganisation savante, ce qui révèle peut-être un excès de vanité de la part de l'auteur (voire de pessimisme irréversible, compte tenu du triste sort réservé à cette emblème...). À tout le moins, Le Banquet complémente sa référence platonicienne d'un autre concept emprunté à l'Antiquité: la catharsis, apothéose frappant ici de plein fouet les acteurs du drame. Étoffant sans demi-mesure cette ancienne convention artistique, les artisans du film ont voulu créer un réel moment de communion qui agiterait la conscience collective. Pour qui est prêt à un peu d'indulgence, force est d'admettre qu'ils ont largement rempli leurs objectifs, en tirant un film imparfait, souvent grinçant, mais aussi l'un des plus révélateurs de l'état du Québec depuis Le Déclin de l'empire américain.




Version française : -
Scénario : Hubert-Yves Rose, Sébastien Rose
Distribution : Alexis Martin, Paul Ahmarani, Jacques Allard, Raymond Bouchard
Durée : 95 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 16 Janvier 2009