BANDE À PART (1964)
Jean-Luc Godard
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Je me suis dit: « Je vais faire de Bande à part
un petit film de série Z comme certains films américains
que j'aime bien. » (Jean-Luc Godard)
Dans Une Femme est une femme, Jean-Paul Belmondo ne voulait
pas rater À bout de souffle qui passait à la
télé chez son pote Marcel. Ce faisant, il répondait
à deux questions rhétoriques bizarroïdes mais fondamentales
du septième art. Peut-on écouter un film de Godard dans
un film de Godard et, dans le même ordre idée, Jean-Paul
Belmondo peut-il voir un film mettant en vedette Jean-Paul Belmondo?
Ce goût de la réflexion cinématographique et de
la citation voire de l'auto-citation, est omniprésent dans tous
les premiers films du plus moderne des réalisateurs de la Nouvelle
Vague. C'est sans doute ce qui en fait l'un des auteurs fétiches
des cinéastes cinéphiles actuels tels que Quentin Tarantino
dont la boîte de production est d'ailleurs baptisée A
Band Apart. La fameuse scène de danse qu'il avait orchestré
dans Pulp Fiction est un clin d'oeil à celle, mémorable,
que livre avec une splendide désinvolture le trio désemparé
du plus culte des films de Godard.
Dès les premières minutes de Bande à part,
le narrateur/réalisateur a déjà souligné
à maintes reprises la nature fictive de son histoire. Il s'amuse
à la résumer en mots clés, s'en détache
le temps d'une parenthèse et va même jusqu'à s'adresser
aux spectateurs qui seraient arrivés dans la salle de projection
en retard. Comme Alphaville, le septième film de Jean-Luc
Godard est un hommage iconoclaste au film de genre. Tout comme le Cosmo
de Ben Gazzara dans le Killing of A Chinese Bookie de John
Cassavetes, les personnages de Bande à part s'amusent
à jouer les gangsters qu'ils ont vu dans des films américains
dévorés pour passer le temps. Oeuvre de style ou si vous
préférez film d'esthète, Bande à part
s'amuse à jouer avec la notion d'une conscience du cinéma
à l'intérieur du cinéma. Ses héros imaginent
la vie comme un film, échangeant constamment les répliques
assassines d'un scénario vif et truffé de clins d'oeil
qu'ils écrivent sur-le-champ, dans l'inspiration du moment.
Cependant, ce petit jeu formel n'empêche jamais Bande à
part d'être un film fourmillant d'une énergique authenticité.
Comme dans la vie, ces personnages se laissent aller et font un peu
n'importe quoi. Ils se battent pour être assis sur la banquette
au restaurant, imitent Charlie Chaplin pour passer le temps et se taquinent
un peu n'importe comment. Le petit côté improvisé
de la méthode Godard permet de qualifier sa réalisation
de jazzée sans exploiter un cliché. Le cinéaste
s'amuse avec ses comédiens et ses techniciens. Bande à
part est le fruit d'un cerveau qui pétille et bouillonne
sans s'imposer de contraintes, quitte à parfois rester brouillon.
De quelle autre façon peut-on expliquer la minute de silence
que déclarent les personnages et que le montage impose au spectateur?
Ou alors l'argent filmé non pas comme un objet mais comme un
personnage lorsque Odile le découvre.
Mais après avoir visité le Louvre en neuf minutes quarante-trois
secondes, inévitablement, la dure réalité rattrape
cette jeunesse naïve qui tournait son cambriolage plutôt
que de le planifier. On ne commet pas un crime comme dans un film de
série B. Ainsi, Bande à part dérape à l'instar
de ses héros de la comédie à la tragédie.
Les signes avant-coureurs de la triste tournure des événements
traversent de part et d'autre l'oeuvre, mais notre surprise demeure
totale lorsque le plan de ces comparses s'écrase ainsi. «
Y'a pas d'quoi en faire un drame », affirme Franz pour oblitérer
la fatigue, la solitude et le drame.
Godard suit le conseil de son personnage à la lettre. Malgré
le poids de sa finale amère, ce film parmi les plus accessibles
qu'il ait réalisé demeure drôle et divertissant.
Comme dans À bout de souffle, l'histoire l'emporte sur
un thème donné dans Bande à part. C'est
à ce genre de cinéma que s'accrocheront ceux qui rejetteront
les oeuvres plus intellectuelles des années 70. En attendant,
tous embrasseront ce film volontairement mineur, qui arrive pourtant
à être grand par la force de sa volonté, où
Godard s'amuse à défier les normes dans le simple but
de le faire. Il a même le génial culot de terminer sa tragédie
moderne sur une tirade à la fois absurde et poétique où
il rejette le sérieux tout en triomphant au niveau créatif.
« Mon histoire finit là, comme dans un roman bon marché,
à cet instant superbe de l'existence où rien ne décline,
rien ne dégrade, rien ne déçoit. Et c'est dans
un prochain film que l'on vous racontera, en CinémaScope et en
Technicolor cette fois, les nouvelles aventures d'Odile et de Franz
dans les pays chauds." C'est cet instant inaltérable, cette
vérité, que Godard capture ici vingt-quatre fois par seconde
grâce à la puissance du cinéma auquel il croyait
avec une ferveur contagieuse.
Version française : -
Scénario :
Jean-Luc Godard, Dolores Hitchens (roman)
Distribution :
Anna Karina, Danièle Girard, Claude Brasseur,
Sami Frey
Durée :
97 minutes
Origine :
France
Publiée le :
19 Janvier 2006