BANDAGED (2009)
Maria Beatty
Par Alexandre Fontaine Rousseau
« Cinéaste » issue du monde de la video d’art
fétichiste et de l’érotisme sado-masochiste de luxe,
Maria Beatty fonde sa définition de l'érotisme sur la
relation entre les interdits et leur transgression, évoquant
notamment les écrits de Georges Bataille sur le sujet. Il est
impossible de nier qu'elle fait preuve d'une certaine audace dans la
mise en scène de la sexualité à l'écran,
et qu'elle embrasse avec un enthousiasme indéniable certaines
pratiques qui relèvent encore aujourd'hui du domaine des tabous
malgré ce mythe médiatique tenace selon lequel une industrie
pornographique (aux valeurs somme toute conservatrices) aurait détruit
toutes les barrières morales de la société contemporaine.
Beatty n'entretient pas un rapport ambivalent avec le corps; elle l'adule
sans honte, l'expose sans retenue et l'assujettit à des fantasmes
qui dépassent les frontières que s'impose l'imagination
de plusieurs. Mais elle approche paradoxalement le cinéma d’une
manière odieusement plastique - soutirant à chaque objet
sa vie propre pour l’investir d’une facticité maniérée.
Tant et si bien que, peu importe que l'on trouve ou non pertinent le
discours sous-jacent de ce long-métrage, le constat s'imposant
est qu'il s'agit d'un « film » tout simplement mauvais:
mal écrit, mal interprété, mal réalisé.
Ce n'est pas faute de moyens que Bandaged se débobine.
L'échec de l'ensemble repose sur une série de décisions
douteuses de même que sur un manque tangible de sensibilité
cinématographique.
La direction de la photographie, dans Bandaged, est certes
léchée ; mais léchée d’une façon
qui suffoque chaque scène, plastifiant ses sujets jusqu’à
ce que toute chaleur se soit dissipée de leurs corps. Dans sa
recherche esthétique, elle en vient à conférer
à chaque geste une aura de précieux ridicule. Le corps
est l’essence même de la mise en scène ici, mais
à toute férocité charnelle s’est substituée
une forme hautaine de sexualité cérébrale. Ce qui
n’aurait pas été sans intérêt si, au
lieu d’étaler grossièrement et d’exacerber
à outrance chaque cliché à sa disposition, Beatty
avait donné une direction - quelle qu’elle soit - à
cette oeuvre qui, au final, ne choque pas (comme pouvaient le faire
à défaut d’autre chose certains de ses courts-métrages
les plus osés) et se trémousse stupidement tel le prétentieux
« softcore » raté qu’il est réellement.
Car, à force de vouloir les adapter à un cadre narratif
traditionnel, la cinéaste a soutiré tout onirisme à
ses images ; en cherchant à reprendre contact de manière
prétendument subversive avec un certain cinéma classique
ainsi qu’avec certains de ses genres canoniques, Beatty sabote
le caractère radical de son esthétique de la transgression
et s’enfonce indubitablement du côté de l’auto-dérision
tragiquement involontaire. L'emploi de références ne s'élève
jamais au-delà du niveau de bête pastiche, et les différents
genres auxquels le film renvoie sont si mal cités que l'exercice
de style s'avère sans intérêt. Si Beatty tentait
de court-circuiter les conventions de genres populaires pour les investir
de valeurs alternatives, son parcours est si tortueux qu'à mi-chemin
l'affirmation a perdu toute force de frappe.
Au bout du compte, Bandaged a des allures de mauvais Jesus
Franco se prenant terriblement au sérieux. Et c’est cette
gravité si appuyée qui nous oblige, en tant que spectateur,
à sourciller avec scepticisme quand le scénario de Claire
Menichi prend une direction débile ou quand le dialogue imbu
de sa propre supériorité trébuche pitoyablement
sur une réplique parfaitement farfelue livrée avec un
stoïcisme totalement incongru. Certes, on pourrait chercher à
défendre Bandaged en affirmant que son discours sur
la sexualité est positif et libérateur. Mais il faudrait
pour ce faire oublier la lourdeur de chaque coupe du montage et la grosseur
de chaque ficelle d’une intrigue qui fait soupirer profondément
quand elle ne provoque pas un éclat de rire ô combien déplacé
dans cette atmosphère figée de galerie d’art. Pigeant
quelques pistes du côté des Yeux sans visages
de Georges Franju, le film s’intéresse aux efforts d’un
père médecin (Hans Piesbergen) qui tente de reconstruire
parfaitement le visage de sa fille Lucille (Janna Lisa Dombrowsky),
défigurée suite à une tentative de suicide. Cette
dernière, repliée sur elle-même depuis l’événement,
tombera sous le charme de l’infirmière chargée de
la surveiller (Susanne Sachße). Se développe alors entre
les deux femmes une idylle passionnée et tortueuse, qu’elles
tenteront de garder secrète afin de ne pas s’attirer les
foudres d’un paternel un tantinet conservateur et peu enclin à
donner son consentement à une telle relation. Histoire d’un
amour interdit bien peu originale, donc, servant un propos tout aussi
peu subtil sur l’intolérance, et surtout une mise en scène
érotisant chaque aspect de l’action.
Ce parti pris ne surprend certes pas, la filmographie de la cinéaste
étant composée d'oeuvres aux titres aussi éloquents
que Strap-On Motel et Sluts and Goddesses. Mais, justement,
on pouvait s’attendre de la part d’une telle sommité
en matière de perversion à un film plus cru que cette
bluette lesbienne où les scènes plus explicites font finalement
l’effet d’une terrible et gênante erreur de jugement.
Ces scènes sont pourtant la raison d’être de Bandaged,
dont l’objectif est d’illustrer sans mauvaise conscience
puritaines des fantasmes selon une perspective féminine : un
acte théorique courageux qui se bute à l’indéniable
maladresse de l’exécution. Sous-développée,
l'intrigue fantastique ressemble plus à un prétexte narratif
qu'à un authentique pan du projet cinématographique de
Beatty. Encore une fois, les thèmes « abordés »
ne le sont qu'en surface; et si l'intention était de livrer une
critique de l'impératif de beauté associé de force
à la féminité, obsession qu'incarne la tyrannique
figure du père, on ne peut s'empêcher de noter l'ironie
à ce qu'un film si profondément esthétique s'y
attaque. Film de décors, de costumes et d'accessoires, Bandaged
égare ses idées dans les méandres de son maniérisme
quand il ne les souligne pas avec une irritante insistance. Les personnages
se confondent à l'arrière-plan, aux objets, et perdent
finalement leur humanité pour devenir de vulgaires natures mortes
injectées d'une passion artificielle. Faute impardonnable lorsque
l'enjeu est de filmer le désir.
Version française : -
Scénario :
Claire Menichi
Distribution :
Janna Lisa Dombrowsky, Susanne Sachße, Hans
Piesbergen
Durée :
92 minutes
Origine :
Allemagne, États-Unis
Publiée le :
4 Octobre 2009