UN BAISER S'IL VOUS PLAÎT (2007)
Emmanuel Mouret
Par Alexandre Fontaine Rousseau
S'il est généralement célébré par
la critique pour son style « léger et charmant »,
en plus de s'être attiré les bonnes grâces d'un influent
distributeur indépendant au Québec (K-Films Amérique),
le cinéma d'Emmanuel Mouret n'en finit pas d'exaspérer
par son impossible naïveté qui vire généralement
à la mièvrerie qualifiée. Sorte de croisement bâtard
entre Éric Rohmer et Woody Allen, l'auteur français oeuvre
certes dans un genre difficile - la comédie romantique - qui
de par sa nature même se bute plus souvent qu'autrement à
la mauvaise foi et au cynisme. Peut-on en vouloir à Mouret parce
qu'il croit encore à l'amour et aux coups de foudre alors qu'un
Tsai Ming-Liang par exemple explore l'incommunicabilité et l'impasse
du sentiment romantique traditionnel? Certes pas, mais on peut tout
de même lui reprocher la faiblesse de son argumentation cinématographique
qui ne fait tout simplement pas le poids face à celle des pessimistes.
Car, bien qu'il se veuille moderne et intelligent (voire intellectuel),
le regard que porte Mouret sur l'amour s'avère en fin de compte
exagérément simpliste; sa sophistication ne s'opère
qu'au niveau des apparences, alors que l'absence de substance réelle
est trahie par cette étourderie généralisée
s'étant imposée au fil des films comme marque de commerce
d'une écriture qui, avec Un baiser s'il vous plaît,
tombe carrément au niveau de la pure caricature.
D'un côté, cette naïveté bon enfant constitue
une partie intégrante du charme que certains attribuent au personnage
de séducteur timide qu'interprète le réalisateur.
Mais, malgré son côté très maniéré,
le protagoniste de Changement d'adresse conservait une certaine
crédibilité totalement évacuée de cet Un
baiser s'il vous plaît où le ton artificiel caractérisant
le jeu de Mouret prend définitivement le dessus sur tout le reste.
Cet alter-ego de grand dadais au parlé laborieux et aux émotions
constamment incertaines, Mouret en avait déjà épuisé
les possibilités comiques au cours de son inégal film
précédent; ce retour en piste semble dans cette optique
inutile, s'il n'est pas appuyé par de nouvelles intentions de
réalisation. En bon disciple d'Allen, Mouret peut bien se permettre
quelques redondances au niveau du sujet si le ton évolue - et,
à sa défense, force est d'admettre que le réalisateur
de Vénus et Fleur explore avec ce quatrième long-métrage
une veine plus dramatique que d'habitude. Mais la mise en scène
n'a jamais été le point fort de son cinéma, ses
plans statiques s'effaçant derrière des montagnes de dialogues
qui somme toute ne possèdent pas cette vive intelligence que
ses défenseurs leur attribue. Ses personnages se résument
à cet aveuglement sentimental, grossièrement clamé
par l'entremise de discours théâtraux plutôt tarabiscotés.
Lorsque Mouret cite, le geste est maladroit et gratuit: on n'a qu'à
penser aux allusions à Rohmer dont était truffé
Vénus et Fleur, ou à l'emploi de Schubert dans
le cas présent. Et, lorsqu'il parle de sa propre voix, son vocabulaire
apparaît limité. Son épure semble trahir un manque
d'inspiration, une caméra sans verve balayant des décors
factices peuplés de corps figés. Élève auto-proclamé
de Chaplin et Keaton, le réalisateur évoque le burlesque
mais n'arrive qu'à en produire une imitation sans étincelle.
Le problème, c'est qu'Un baiser s'il vous plaît
est un film sur la passion; une passion refoulée, certes, mais
malgré tout brûlante, enivrante tente-t-on de nous faire
croire. Mais à cette émotion centrale, la mise en scène
n'offre qu'un piètre contrepoint physique. Mouret, cinéaste
tout à l'image de son personnage coincé, filme des mièvreries
sans joie palpable et mêle la puérilité à
un ascétisme formel tout bonnement inapproprié dans le
contexte. Son film est parasité par ces constants conflits de
ton: entre le ridicule consommé du subterfuge imaginé
par Nicolas (Mouret) et Judith (Virginie Ledoyen) pour que Claudio (Stefano
Accorsi) tombe sous le charme de Caline (Frédérique Bel)
et le manque de vivacité des comédiens, l'aspect surfait
des dialogues. Les situations comiques ne respirent pas, n'existent
jamais à l'écran au-delà d'un scénario qui
au final transparaît trop. L'exécution froide stérilise
l'humour, alors qu'elle cherche à épouser l'état
d'esprit de ses personnages.
Somme toute, le cinéma de Mouret irrite parce que son intention
principale est trop évidente. « On écrit souvent
les films à partir de ses fantasmes », affirmait l'auteur
en entrevue à la sortie de Changement d'adresse. Un
film plus tard, on croit déjà pouvoir résumer ce
fantasme à un tiraillement constant entre une belle blonde et
une jolie brunette qui le désirent malgré sa gêne
et sa maladresse; Mouret, somme toute, utilise le cinéma pour
se mettre en scène dans ses rêves et sa démarche
apparaît sous ce jour comme un geste de plus en plus ouvertement
égoïste. Or, s'il se fait plaisir avec son cinéma,
force est d'admettre qu'il ne partage que rarement ce plaisir avec son
spectateur. Théoriquement drôles et attachants, parce que
leur sujet est universel et intemporel, ses films remâchent en
pratique une vieille rengaine complaisante et consensuelle que d'autres
ont su revitaliser autrement mieux que lui. Mouret flatte le spectateur
dans le sens du poil en lui servant dans un emballage de bon goût,
culturellement acceptable, des facilités qui sont habituellement
jugées avec sévérité. Et, avec Un baiser
s'il vous plaît, ce qui tenait du lieu commun dans son univers
a déjà trouvé le moyen de glisser vers la platitude
qualifiée. Pour cette raison, la supercherie commence, malgré
quelques jeux de mots bien amenés, à nous paraître
bien mince...
Version française : -
Scénario :
Emmanuel Mouret
Distribution :
Virginie Ledoyen, Emmanuel Mouret, Julie Gayet,
Michaël Cohen
Durée :
96 minutes
Origine :
France
Publiée le :
17 Septembre 2008