BAD GUY (2001)
Kim Ki-duk
Par Jean-François Vandeuren
Un peu comme pour son décevant Real Fiction, Bad
Guy fut l’occasion pour Kim Ki-duk de se concentrer un peu
plus sur une histoire nous présentant un paysage urbain formé
de personnages violents et de divers conflits peu reluisants. Mais pour
une fois, l’enjeu du film ne se retrouve pas tant au niveau des
thématiques ou de la mise en scène plus qu’au niveau
du récit en soi. Un scénario qui n’est pas parfait
et qui, à bien des égards, semble même incomplet.
Mais celui-ci offre malgré tout une déconstruction pour
le moins inusitée de certains concepts usés. Alors qu'il
déambulait tranquillement dans les rues de Séoul, Han-gi,
un proxénète muet, sera subitement attiré par une
jeune étudiante, Sun-hwa, issue de bonne famille. Sur un coup
de tête, il tentera de l’embrasser contre son gré,
mais l’amoureux de la jeune fille et les autorités qui
passaient par là interviendront et le forceront à s’excuser
devant une foule qui ne comprend pas trop se qui se passe. Afin de se
venger d’une telle humiliation, Han-gi tendra un piège
à Sun-hwa qui sera alors forcée de se prostituer pour
lui.
Même si en bout de ligne leur présence se fait sentir au
cœur même des événements du film, les préoccupations
et thématiques habituelles du cinéma de Kim Ki-duk sont
malgré tout relayées au second plan afin que le cinéaste
puisse se concentrer unilatéralement sur les bases de son scénario.
Kim Ki-duk s’évertue de cette manière à reformuler
la bonne vieille histoire que l’on connaît tous par cœur,
celle de la jeune femme aisée dont un voyou tombera d'abord amoureux
et fera ensuite des pieds et des mains pour pouvoir la fréquenter.
Bad Guy réalise alors un pied de nez particulièrement
percutant à ce genre de récit et à tous les films
découlant de près ou de loin du Pygmalion de
George Bernard Shaw en lui faisant effectuer un virage à 180
degrés. Plutôt que d’évoluer, Han-gi tentera
plutôt de faire régresser Sun-hwa pour qu’elle finisse
par s'intégrer à son monde de criminels et qu’ainsi
toutes les barrières séparant leurs deux univers s’affaissent
complètement. Le film de Kim Ki-duk réussit d’ailleurs
à mettre en évidence cette évolution assez rapidement
sans que la psychologie de la principale concernée soit mise
de côté.
La mise en scène de cette fable urbaine amène également
une certaine dimension spectrale, voire divine, à l’effort,
en particulier en ce qui a trait à toute l’idée
du voyeurisme véhiculée par le comportement de Han-gi.
Kim Ki-duk traite d’ailleurs ce point en renouant avec la partie
muette de son cinéma, ici supportée par son personnage
principal qu’il place en position d’observateur face à
l’adaptation de San-hwa dans son nouvel environnement. Il s’agit
par contre d’un des rares cas dans les films de Kim Ki-duk où
le caractère peu bavard du personnage principal ne découle
pas d’un choix personnel. Le réalisateur sud-coréen
s’affiche également sous un jour un peu plus sale que d’habitude
en excluant complètement de son film cette nature qu’il
dépeint ordinairement comme un endroit serein servant de refuge
à ses personnages. Il nous garde ainsi prisonniers d’un
bout à l’autre de cet univers fait de béton et d’intentions
malsaines. Le cinéaste laisse aussi passer quelques scènes
un peu plus symboliques qui viennent s’inscrire sans trop faire
de bruit dans les rouages de son scénario.
Bad Guy est au final un film qui révèle plusieurs
points d’intérêt, lesquels ne se trouvent pas forcément
dans son contenu, mais plutôt dans la manière avec laquelle
Kim Ki-duk s’amuse à jouer avec les genres. Il aborde d’une
part le monde de la criminalité en milieu urbain d’une
façon parfois redondante, mais qui parvient néanmoins
à marquer d’une façon un peu insistante le quotidien
de ce genre d'organisation sans nécessairement chercher à
en secouer les rudiments. Le cinéaste sud-coréen effectue
par contre un travail beaucoup plus significatif par rapport au développement
des relations entre ses différents personnages. Il n’y
a évidemment aucune morale à tirer en soi de Bad Guy.
Kim Ki-duk nous offre qu’un simple exercice de style se concentrant
uniquement sur sa prémisse de départ sans se soucier des
éléments extérieurs au récit qui prend forme
sous nos yeux. Une idée qui ne bouche malheureusement pas tous
les trous laissés par le scénario, qui, une fois rempli,
aurait pu donner un effort beaucoup plus consistant. Mais si on le prend
pour ce qu’il est, ce Bad Guy possède malgré
tout sa part de mérite.
Version française : -
Version originale :
Nabbeun namja
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Jo Jae-hyeon, Seo Won, Kim Yun-tae, Choi Duek-mun
Durée :
100 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Janvier 2006