AURORE (2005)
Luc Dionne
Par Charles McDermott
«Ils ne vont pas nous ressortir Aurore?» Voici
les mots que Luc Dionne a prononcé lorsqu’il sortit d’un
visionnement de Séraphin: Un Homme et Son Péché,
autre film portant sur la période du début du siècle.
Comme une bonne partie de la population, le scénariste se questionnera
sur l’utilité de ramener une histoire vieille de 85 ans
qui, en plus, était connue de tous et de toutes. Ajoutez à
cela le souvenir du marquant, mais non moins horrible, film de 1952
et vous aviez une formule parfaite pour ne pas revoir le visage de la
jeune enfant avant une longue période de temps. Mais voilà,
il semblerait que Luc a décidé de mener sa petite enquête
sur cet évènement tristement populaire pour comprendre
ce qui est véritablement arrivé en 1920 dans le village
de Sainte-Philomène de Fortierville. Ce qu’il trouva dû
être marquant, car il changea complètement son fusil d’épaule
et décida non seulement d’écrire le film mais aussi
de le réaliser. Il faut avouer qu’il y avait de quoi à
être curieux pour comprendre un changement si brusque.
Aurore, comme nous le savons tous, est l’histoire d’une
jeune fille qui fut martyrisée par sa belle-mère pour
des raisons qui, encore aujourd’hui, sont restées obscures.
Débutant le film avec une jolie séquence portant sur la
période heureuse de la vie d’Aurore, Luc Dionne installe
une atmosphère relativement paisible et installe le récit
en préparant la suite des évènements. Évènements
qui seront beaucoup plus sombres et beaucoup plus touchants que ce simple
prologue. Bien que les personnages soient bien introduits et qu’ils
sont franchement intéressants, on ne peut s’empêcher
d’être déçu devant la manière que Dionne
nous présente ses protagonistes, pourtant important, pour en
abandonner une bonne partie rapidement par la suite. Cette première
faille se révèle grande pour ceux qui connaissent le talent
du Dionne scénariste, qui prend habituellement le temps de bien
développer ses personnages principaux autant que secondaires
et, ainsi, leur donner leur importance de le récit. Ici, seul
survivent de l’oubli les quatre personnages principaux de l’histoire.
S’il y a bien une force dans ce film, elle réside dans
l’interprétation de ses talentueux acteurs. Serge Postigo
tire son épingle du jeu en donnant vie à un Télésphore
dont la nature n’est jamais vraiment comprise ou acceptée.
De tous les personnages, il est le plus intéressant psychologiquement
et celui face auquel on ne pourra pas vraiment porter de jugement. Car
même dans la réalité, le véritable Télésphore
n’aura jamais été un être compréhensible.
Du côté masculin, on y retrouve aussi un curé sourd
aux protestations et aux messages venant des villageois qui ne comprennent
pas pourquoi l’Église n’ose pas agir. Ce curé,
interprété avec un jeu sobre par un Yves Jacques en pleine
forme, est l’élément pivotant de l’histoire.
Celui par qui tout aurait pu être arrêté mais qui
n’aura écouté que sa propre vision intellectuelle
de la situation trouvera la fin d’une manière plutôt
étrange. Si les performances sont moins intéressantes
du côté féminin, il faut avouer que le jeu juste
et sobre de la petite Marianne Fortier a réussi à surprendre
votre rédacteur. Bien que le rôle d’Aurore ne soit
pas nécessairement très profond, il est interprété
par une actrice qui se donne corps et âme aux supplices et aux
douleurs de l’enfant martyre, rendant le personnage attachant
et créant ainsi une pitié qui viendra chercher le spectateur
sans grand effort. Par contre, contrairement à sa jeune collègue,
Hélène Bourgeois-Leclerc déçoit beaucoup
dans le rôle de la marâtre. Alors qu’on s’attendait
à une approche plus subtile et plus profonde du bourreau de l’enfant,
mademoiselle Bourgeois-Leclerc pousse la note un peu trop haute, rappelant
malheureusement la performance ridicule de Lucie Mitchell dans le premier
film. Bien sûr, le personnage est beaucoup plus approfondi, expliquant
la folie de cette femme avec plus de détails, mais l’interprétation
vient gâcher ce qui aurait pu être la pierre angulaire de
l’histoire. Le reste de la distribution s’en tire bien,
malgré le jeu gros de certains acteurs qu’on ne nommera
pas ici mais qu’on reconnaitra facilement en visionnant le film.
Mention spéciale à Stéphanie Lapointe qui, envers
toutes les critiques à son égard, réussit à
donner une performance honnête à partir d’un personnage
plus ou moins bien développé par Dionne.
La mise en scène de Dionne est intéressante, mais très
inégale par moment. Il réussit à donner lieux à
des scènes de violences très intenses et frappantes visuellement.
Car ici, on suggère plutôt que montrer. Et l’impact
s’en retrouve complètement changé. Le réalisateur
réussit à ne pas tomber dans l’ombre du film de
Jean-Yves Bigras et il ne se laisse pas attirer par une violence visuelle
facile. La célèbre scène du tisonnier est infiniment
plus convaincante que dans l’original, ainsi que la plupart des
scènes de confrontations entre Aurore et ses parents. Malheureusement,
les scènes dramatiques, malgré quelques exceptions, se
révèlent un peu pauvre et détournent l’attention
et le récit d’une triste façon. Ceci est le premier
film de Luc Dionne et c’est extrêmement visible. L’œuvre
est jolie, avec ses décors, costumes et lieux plus que respectueux
de l’époque, mais le montage vient ici gâcher un
rythme qui est déjà lourd et dont les techniques deviennent
répétitives et lassantes. Le fade-out/fade-in
est utilisé à outrance qu’on se demande si un lien
existait entre les différentes scènes. Un point que Dionne
devra réviser s’il revient dans le monde de la réalisation.
N’oublions pas la musique classique de Michel Cusson qui aidera
certaines scènes à ne pas tomber dans l’inutilité
totale, mais qui n’est aucunement variée et qui ne brise
absolument aucune barrière avec ses chants latins.
Malgré toutes les critiques à son égard, Aurore
nous livre ici un message contemporain et, malheureusement, encore actuel.
Aurore provoque un questionnement à propos du silence. Un silence
qui se révèle souvent dans de tristes évènements
comme celui-ci. Seulement dans la scène finale pouvons-nous comprendre
tout l’impact de cette loi sans racine, démontrant et critiquant
non seulement la surdité et l’aveuglement de l’Église,
mais aussi de la population en général. Car personne ne
ressort de cette histoire sans ses démons intérieurs.
Un effort admirable avec des imperfections décevantes. Malgré
tout, l’enfant martyre surprend.
Version française : -
Scénario :
Luc Dionne
Distribution :
Hélène Bourgeois Leclerc, Marianne
Fortier, Rémy Girard, Yves Jacques
Durée :
115 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
29 Juillet 2005