AUGUST DAYS (2006)
Marc Recha
Par Jean-François Vandeuren
Le voyage au cinéma est souvent synonyme de changement et d’évolution
au niveau de la mentalité des personnages. Ce retour aux sources
improvisé ou prémédité leur permet ainsi
d’apprendre quelque chose sur eux-mêmes ou de découvrir
un côté de leur personnalité dont ils n’avaient
jamais soupçonné l’existence. Les spectateurs sont
alors invités à sillonner les routes en compagnie du ou
des principaux intéressés dont le point de vue par rapport
à différents sujets sera appelé à changer
quelque part entre la ligne de départ et d’arrivée.
Ce cinquième long-métrage de l’Espagnol Marc Recha
s’inscrit précisément dans ce mouvement tout en
s’amusant à le mettre sens dessus dessous. Ou du moins,
de détourner notre attention des enjeux réels de ce «
road movie » s’enfonçant au cœur de la Catalogne.
C’est le réalisateur lui-même qui tient la vedette
de ce nouvel effort aux côtés de son frère David.
Marc est alors en vacances et cherche à prendre un peu de recul
par rapport à un travail de recherche qu’il effectue sur
le défunt journaliste et ami de la famille Ramon Barnils. David
décide de l’accompagner dans son périple et nous,
nous accompagnons David.
L’une des caractéristiques les plus marquantes de ce August
Days est justement la constante distanciation que le réalisateur
effectue entre son public et ses personnages. La quête de celui
qui devrait normalement être le principal protagoniste de toute
cette histoire est résumée en à peine quelques
lignes. De plus, c’est la sœur du duo qui n’était
même pas présente qui nous raconte en voix off les grandes
lignes de ce voyage. Paradoxalement, le cinéaste ne rate jamais
une occasion de souligner les liens fraternels unissant ses deux protagonistes.
August Days se veut d’ailleurs une œuvre extrêmement
contemplative qui capte les élans de ses personnages sur le vif
en s’infiltrant dans leur complicité sans leur demander
quoique ce soit. Ceux-ci sont présentés au naturel et
évoluent à leur guise dans un ensemble épuré
de tout conflit marquant. C’est d'ailleurs ce rejet de toute forme
narrative qui risque d’être problématique pour certains.
Sans que la mort ne soit directement impliquée, le film rappelle
à plusieurs égards les élans expérimentaux
et le rythme lent au possible de la dernière trilogie de Gus
Van Sant.
On ne peut pas dire toutefois que le film de Marc Recha manque de direction
sur le plan de la mise en scène. Le réalisateur laisse
d'ailleurs les images parler d'elles-mêmes plus souvent qu'à
leur tour afin de nourrir ce fort sentiment de dépaysement. Sa
facture visuelle similaire à celle d’un documentaire s’alimente
de longs travellings faisant de la nature un personnage à part
entière et de photos de toutes sortes. Recha garnie également
son effort de mythes locaux qu’il prend plaisir à partager
et de quelques figures locales rencontrées par hasard avec qui
les deux frères partagent un moment sans que la séquence
n’ait forcément d’incidence sur la suite de l’histoire.
Le cinéaste espagnol se sert également des lieux pour
évoquer de manière fort singulière, mais néanmoins
révélatrice, le passé de son pays et de ses personnages.
Ce dernier nous présente ainsi des endroits dominés par
la nature où il n’est pas rare d’y apercevoir quelques
bâtiments en ruine et des murs criblés de balles. Un détail
anodin qui prend toute son importance lorsque nous considérons
la forme originale du genre auquel August Days appartient et
l’étrange tournure que Marc Recha a su lui conférer.
Frustrant pour certains, enrichissant pour d’autres, tout comme
les trois derniers opus de Gus Van Sant, August Days exige
du spectateur l’acceptation d’un rôle qu’il
n’a pas forcément l’habitude de jouer à l’intérieur
d’une salle de cinéma. Ses moyens sont réduits,
le point de vue est fortement imposé et quoiqu’il advienne,
il ne pourra jamais réunir toutes les pièces du puzzle.
Du moins, celui qu’il aurait aimé terminer. Dans la peau
malgré lui du troisième voyageur de ce périple
marquant simplement une pause pour un autre, Marc Recha le plonge, comme
lors de tout voyage réussi, dans un état d’errance
enivrant où le calme et la sérénité remplissent
tous les espaces inoccupés que des dialogues réduits au
strict minimum n’ont jamais eu le rôle de combler. Il s'est
certes fait voyages plus stimulants pour les sens par le passé.
Pour sa part, August Days repose sans endormir et égare
son public sans jamais le perdre de vue.
Version française :
Jours d'Août
Version originale :
Dies d'agost
Scénario :
Marc Recha
Distribution :
David Recha, Marc Recha, Mariona Ordonez, Pere
Subirana
Durée :
93 minutes
Origine :
Espagne
Publiée le :
24 Octobre 2006