ASSEMBLY (2007)
Xiaogang Feng
Par Mathieu Li-Goyette
Superpuissance nouvellement déclarée, la Chine est la
forteresse médiatique par excellence de la dernière décennie.
Ce n’est, en effet, que depuis l'ouverture officielle (j’insiste
sur le mot) du pays en 2001 que les cinéastes chinois commencent
à envahir les écrans internationaux. Souvent confondu
au cinéma d’Hong Kong, pourtant très différent,
le cinéma chinois se voit en plein apprentissage d’une
liberté d’expression récemment acquise tout en profitant
d’un boom technologique par l’ouverture de ses frontières.
En plein coeur de ce nouveau vent d’air frais oriental, Xiaogang
Feng, bien qu'il se soit déjà illustré plus d’une
fois lors des festivals, débarque en Amérique avec Assembly,
film de guerre déterminant des nouveaux moyens de production
chinois, et s'inscrit avec force dans le courant commercial des combats
épiques post-Ryan.
Projeté en plein coeur des combats de 1948 où les troupes
de Mao combattaient celles des Nationalistes de Tchang Kaï-chek
au Nord du pays, nous suivons le capitaine Gu Zidi et son bataillon
de 80 soldats à travers la réunification du pays. Introduit
dans la boucherie de 20 minutes du premier combat, l’impact vrombissant
des explosions repousse les limites techniques du déjà-vu.
Sans être très éloigné du débarquement
de Saving Private Ryan, tout en présentant des combats
aussi exténuants que ceux de Black Hawk Down, Assembly
s’arrête le temps de nous présenter les lieutenants
du bataillon avant de plonger dans une mission suicide (qui durera un
autre tier du film) où la retraite ne sera possible qu’au
son du chant de l’assemblée. «Même si vous
êtes le dernier soldat en vie, [...] vous resterez vous battre
jusqu’au son du cor de l’assemblée», dit le
général au capitaine. Au bas mot, la première moitié
du film est un grand festival d’explosions et de corps démembrés
qui n’en finit plus de nous dégoûter de la guerre
(effet voulu, on l’espère, de ce film plus humaniste que
bagarreur), mais surtout nous prouve qu’il n’aura fallu
que dix ans aux Chinois pour égaler la mise en scène spielbergienne
des combats à grand déploiement. Le pompeux est au rendez-vous.
Attaché à un officier politique trouillard, Zidi réussit
à tenir les défenses jusqu’à l’extermination
totale de sa troupe. Il est ensuite condamné à se faire
fossoyeur du passé, à revenir sur les lieux du combat
fatal plus de huit ans plus tard pour retrouver les dépouilles
de ses hommes. Déclarés comme disparus au combat, ils
ne détiennent guère le statut de héros de guerre
qu’une médaille du mérite leur procurerait et ne
peuvent ainsi attirer que la honte sur leur famille, ne recevant pas
d’aide de la part du parti dans de cas semblables. Luttant contre
les instances administratives, Zidi n’est pas prêt à
laisser tomber dans l’oubli la mémoire de ses hommes, à
l’inverse d’une Chine populiste pour qui le nombre l’emporte
sur l’importance de chaque individu, de chaque famille ; la Chine
des années 50 se veut tournée vers l’avenir, prête
à oublier ces guerriers qui l’ont pourtant édifiée
dans le sang. Sans oublier que le pays possède un passé
aussi peu net que celui de la Russie (se rejoignant tous deux dans le
culte de la personnalité socialiste), cet oubli devient représentatif
d’un orgueil national n'acceptant jamais le doute et le reproche,
et ce même dans le cas du capitaine, dont la quête restera
vainement inavouée par celui-ci. Cette longue démarche
d’une dizaine d’années pour retrouver 47 médailles
d’honneur en valait-elle vraiment la peine? Cette question, jamais
le film n’y répondra ou tentera même d’y apporter
un intérêt autre que posthume.
Extrêmement précis dans sa reconstitution historique des
événements et de l’époque dans laquelle ceux-ci
se déroulent, Assembly est un monstre de budget omnipotent
qui ne manque pas une occasion de prouver qu’il a les moyens d’égaler,
voire de dépasser le pouvoir de production américain (a-t-on
bien dit orgueil national?). Proposant une esthétique n’empruntant
pratiquement rien au cinéma d’Hong Kong, la Chine s’inscrit
plutôt dans une tendance commerciale et occidentale beaucoup plus
exportable et accessible que les laisser-allers stylistiques hong-kongais
et la contemplation taïwanaise (cette généralisation
ne vise pas à définir ces cinématographies nationales,
mais plutôt à les opposer globalement au cinéma
chinois). En marge de tous ces systèmes, c’est probablement
Jia Zhang-ke qui, par son épure, semble le mieux définir
son immense pays. Pour sa part, Xiaogang Feng nous livre une première
moitié un peu trop teintée de « showmanship
», au point de faire croire l’exercice de style non nécessaire
à l'impact d'une deuxième partie beaucoup plus intéressante
et émouvante. Conception sonore extraordinaire et plusieurs allégresses
de montage participent finalement à élaborer une chimie
rarement vue dernièrement dans le cinéma de guerre. Le
film s’en tire aussi avec quelques hasards de scénario
bien apportés, qui font parfois penser à des deus ex machinae
sans pour autant alourdir (peut-être parce qu’il était
déjà lourd...) un récit qui reste linéaire,
avec plusieurs personnages tenus en rôles de remplissage assortis
de dialogues tout aussi futiles.
Ces dialogues parfois trop anecdotiques n’empêchent par
contre en rien Assembly d’être un très bon
film militaire dans les règles de l’art, assis sur de puissantes
bases idéologiques et historiques. Ne serait-ce que par sa deuxième
partie n'étant pas sans rappeler La Harpe birmane d’Ichikawa
(1956), Feng réussit à y appliquer une brillante mise
en scène nerveuse lors des combats pour revenir à un rythme
songeur lors des séquences plus tardives. Concept conventionnel,
mais d’autant plus efficace compte tenu des nombreuses scènes
d’action qui, a elles seules, valent le détour. D’un
point de vue politique, le film retient tous les défauts de son
pays d’origine et ne nous apprend pratiquement rien du conflit
nationaliste de 1948. Plutôt une parenthèse au gouvernement
actuel, rejetant les fondations de son passé pour ne regarder
qu’un avenir prometteur, c'est l’idée de rendre honneur
à ces hommes qui se verrait peu représentative du conflit
ici rapporté. Enjeux idéologiques étant complètement
occultés du récit, le communisme n’y apparaît
donc jamais : les étoiles rouges ne font office que de décorations
et les préoccupations de la guerre ne sont jamais abordées,
à un tel point qu’on y soupçonnerait la censure
par moments. Dans le cas contraire, Xiaogang Feng s’avèrerait
sûrement l'un des plus piètres citoyens de la Chine, pays
où l’Histoire est apprise dès le plus jeune âge
à coup de petit livre rouge. Une hypothèse qui, en regard
des enjeux humanistes bordés ici d’une technique de cinéaste
impeccable, semble peu probable.
Version française : -
Version originale :
Ji jie hao
Scénario :
Heng Liu
Distribution :
Chao Deng, Heng Fu, Jun Hu, Phil Jones
Durée :
124 minutes
Origine :
Chine
Publiée le :
22 Juillet 2008