THE ANARCHIST COOKBOOK (2002)
Jordan Susman
Par Jean-François Vandeuren
Imaginez un homme (ou une femme) ayant consacré sa jeunesse à
la cause humanitaire en participant à diverses manifestations
réclamant l’équité mondiale, la prise de
mesures pour freiner la détérioration de l’environnement,
une justice égale pour tous, etc. Une personne éveillée
voulant tout simplement changer le monde pour le mieux, quoi. Imaginez
maintenant que cette même personne, confuse à l’arrivée
de la trentaine, finit par se retrouver errante dans la peau d’un
chef d’entreprise, d’un avocat, d’un politicien ou
de n’importe quelle autre figure issue d’un capitalisme
si ardemment combattu autrefois. Si l’on pense ironiquement à
ce que sont devenus bien des actants de la génération
hippie, il se dresse un parallèle tout aussi similaire avec les
intentions véhiculées par The Anarchist Cookbook.
Non pas que cette image soit formellement collée aux auteurs
de ce pamphlet de droite voulant guider à tout prix une jeunesse
dite sans horizon, mais n’empêche que ce brouillon tend
beaucoup plus vers la glorification de cette transition devant donner
à la société un nouvel élément productif
et numéroté que vers une sérieuse mise en garde
aux avertis.
Cette histoire révélant le parcours d’un jeune homme
appartenant à une commune «anarchiste» ayant élu
domicile dans une maison délabrée loin des tentations
matérielles et dont l’expérience tournera inévitablement
au cauchemar lorsque les objectifs du groupe seront radicalement redéfinis,
on nous l’a déjà racontée d’une manière
à la fois plus extrémiste et pertinente. Le film de Jordan
Susman laisse en fait l’impression d’une vulgaire copie
carbone du Fight Club de David Fincher, mais dont le sens profond
n’a soit pas été cerné correctement par les
artisans du présent effort dû à certaines pages
manquantes dans la retranscription, ou ces derniers ont volontairement
tourné le tout au ridicule au profit d’un enchaînement
d’idées corporatives ruinant complètement le semblant
d’intentions nobles que pouvait avoir l’entreprise au départ.
De plus, cette impression de déjà vu ne se limite pas
seulement qu’au niveau du discours et fait sentir sa présence
dans pratiquement tous les recoins du film de Susman, que l’on
pense à la maison en ruine, au profil psychologique du personnage
principal et de la narration de ce dernier accompagnant un récit
aux événements tout aussi similaires, sans oublier l’assemblement
d’une armée par un « Tyler Durden » traité
ici comme le vulgaire méchant de service.
Mais malgré ces ressemblances plus que frappantes, The Anarchist
Cookbook présente en premier lieu certains concepts porteurs
d’un message assez éloquent sur le sort des prisonniers
des grandes villes et des banlieues. Cependant, le tout ne mène
malheureusement pas à la dénonciation d’un état
charognard à laquelle nous pouvions nous attendre et le film
de Jordan Susman se transforme plutôt en appel d’urgence
à ce système qui, selon le cinéaste, se doit d’encadrer
et de réformer ces parasites sinon quoi le pire serait vraisemblablement
à prévoir. Cela explique d’ailleurs pourquoi ces
personnages caricaturant l’anarchie mis à l’avant-scène
ici se dévoilent tous tôt ou tard comme ineptes et incohérents,
voire carrément stupides, Il faut dire que le film de Susman
est aussi fortement alimenté de ce climat d’effroi et d’incertitudes
face à tout ce qui est marginal flottant dans l’air chez
nos voisins du Sud depuis les événements d’un certain
11 Septembre 2001. Le titre du film fait d’ailleurs référence
au livre du même nom qui se veut une véritable bible pour
tous ceux ressentant le désir de fabriquer diverses formes d’explosifs
et de substances illicites. Le bouquin en question était d’ailleurs
mentionné dans le documentaire Bowling for Columbine
de Michael Moore.
S’il y a un élément que Jordan Susman n’a
pas subtilisé au film de David Fincher, c’est bien le raffinement
de son emballage esthétique. De cette façon, Susman offre
un traitement visuel assez faible qui croit pourtant être original
et provocateur, mais la réalisation de ce dernier ne réussit
jamais à voler plus haut que la dose minimale d’imagination
le sortant de justesse d’un répertoire de films voués
à être catapulter sans escales sur les tablettes des clubs
vidéos. La direction photo est assurément l’élément
qui retient le plus l’attention ici vues les transitions fréquentes,
quoique fort malhabiles, s’opérant au niveau de la qualité
de l’image, laquelle passe de respectable à celle d’un
vidéo amateur pour terminer sa course sur une vaine imitation
des technologies numériques.
Pour un film débutant sur une citation remettant une fois de
plus en question le niveau d’intellect du Président américain
George W. Bush, The Anarchist Cookbook ne se gène pas
par la suite pour présenter la droite et le parti républicain
comme une figure de guide dans un monde courant de plus en plus à
sa perte. Si l’essai est construit d’une manière
trop confuse dans ses actions les plus concrètes pour que celles-ci
soient prises en considération, The Anarchist Cookbook
arbore ensuite une étiquette capitaliste trop prononcée
pour que ceux qui auraient pu avoir un intérêt envers le
film, lesquels sont de toute façon confondus et catalogués
ici parmi une racaille terroriste, fasciste et raciste, puissent avoir
le moindre respect pour le film de Jordan Susman. Le cinéaste
a ainsi transformé idéologies humanistes et mouvements
activistes en une vulgaire parodie de leur propre silhouette. Nul doute
que le public cible de cette machination grotesque a été
habilement visé. Il serait cependant étonnant d’en
voir un grand nombre tomber aussi facilement dans le panneau.
Version française : -
Scénario :
Jordan Susman
Distribution :
Devon Gummersall, Travis Willingham, Dylan Bruno,
Richard Jackson
Durée :
101 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
25 Août 2004