AMERICAN GANGSTER (2007)
Ridley Scott
Par Nicolas Krief
On aime les gangsters, ce sont des méchants cool. Ils ont de
beaux costumes, de belles lunettes de soleil et une attitude qui dit
: rien à ciré, ce n’est que du crime. On a tous
notre film de gangster favori : certains aiment les Cubains avec des
gros fusils, d’autres préfèrent la classe des Italiens
et moi j’aime bien Goodfellas. Mais c’est la conquête
de l’Amérique qui unit tous ces portraits familiaux et
qui a fait passer The Godfather et Scarface à
l’histoire. Il ne faut pas se le cacher, la réussite en
terre états-unienne, même si elle se fait dans le crime,
est une recette gagnante. Comme les États-Unis ont été
fondés par l’unification des peuples… les états-uniens
aiment bien regarder ces étrangers bâtir avec eux leur
belle nation. American Gangster s’inscrit en quelque
sorte dans ce lot. Même si Frank Lucas n’est pas un immigrant
(d’où le titre), sa réussite est évidente
et exemplaire pour les futurs criminels.
Le réalisateur d’Alien nous emmène à
New York à la fin des années 1960 pour nous présenter
le «self made man» de 2007, Frank Lucas. Aîné
d’une famille noire de la Caroline du Nord, il est, à New
York, l’homme de main d’un gangster/homme du peuple de Harlem.
Après la mort de celui-ci, à l’aide d’une
bonne somme d’argent, il va au Viêt-Nam en pleine guerre
pour y chercher de l’héroïne pure. Grâce à
cet ingénieux stratagème, il réussit à vendre
une drogue plus pure et moins chère que ses compétiteurs.
Tel un Wal-Mart du crime organisé, il se hisse au sommet de ce
monde normalement dominé par les Italiens. En parallèle
à l’histoire de Frank Lucas, on suit celle de Ritchie Roberts,
un honnête policier (probablement le seul de New York) qu’on
désigne pour diriger une brigade spéciale des stupéfiants.
Ce dernier découvre que le plus important trafique de stupéfiants
de la ville n’est pas effectué par les Italiens ou les
Russes, mais par un Afro-américain.
Le scénario en parallèle somptueusement construit permet
d’adoucir l’ascension du gangster vers le succès
qui devient dangereusement séduisante. Malgré un scénario
aussi solide, Scott ne réussit pas à passer à côté
du cliché du film de gangster typique. Son film est plein de
bonnes intentions, l’homme noir qui accomplie quelque chose de
grand dans un monde de blanc, dans les années 1960, c’est
très agréable pour les progressistes que nous sommes.
Mais magnifier cette réussite qui s’effectue dans le monde
du crime et de la drogue, c’est une erreur trop souvent répétée.
Le cinéaste réussit presque à revenir dans le bon
chemin dans son dénouement, mais la finale détruit tout
espoir idéologique. Ce qui est triste avec American Gangster,
c’est que le film risque d’avoir un effet Scarface
sur les jeunes. Les adolescents poseront sur les murs de leur chambre
des affiches de ce criminel grandiose et admireront sa détermination
et ses visions. Ils porteront des t-shirts et des casquettes à
l’effigie d’un homme violent qui vend sans le moindre sentiment
de culpabilité un produit meurtrier qui détruit la vie
de centaines de personnes, mais bon, il s’est construit un empire,
et porte des beaux vêtements. L’autre héros du film
est le policier le plus honnête de tout le pays, mais ce n’est
évidement pas lui que l’on met au premier plan, ce n’est
pas lui qu’on présente comme un homme extraordinaire. Alors
que le trafiquant de drogue a de bonnes valeurs familiales, le policier
honnête est un père absent, incapable de s’occuper
de son fils. Chez nos voisins du Sud, le père a une image près
de celle de Dieu, d’où l’expression «Dad
knows best». Faites le lien.
D’un autre côté, j’espère qu’American
Gangster passera à l’histoire, mais pour une toute
autre raison. Récemment, ce bon vieux Ridley nous a servi quelques
films assez pauvres sur le plan qualitatif. A Good Year et
Kingdom of Heaven ne volaient pas très haut dans la
sphère hollywoodienne et sont tombés dans l’oubli.
On retrouve dans American Gangster le Ridley Scott capable
de grandes choses, celui d’Alien et de Blade Runner.
C’est comme s’il renouait avec le talent; le cinéaste
qui a su mêler des bibittes extraterrestres et du suspense à
la Polanski revient en force avec un film de genre parfaitement maîtrisé.
Scott sait utiliser l’hommage, il n’en abuse pas et le place
aux bons endroits. Plusieurs scènes ne sont pas sans rappeler
les «classiques» du genre tels Goodfellas ou The
Godfather. Il sait aussi utiliser le montage en parallèle;
les scènes emboîtées les unes dans les autres sont
montées avec grande efficacité. Les scènes d’action
feraient mouiller le pantalon de tous les Tony Scott de ce monde. Comme
quoi les vieux de la vieille sont encore capables de nous impressionner.
Le scénario nous lance sur plusieurs pistes qui sont malheureusement
abandonnées dans les dernières séquences du film.
En se basant sur une histoire vraie, le traitement des faits aurait
pu être poussé plus loin. L’armée américaine
qui importe de l’héroïne du Viêt-Nam pendant
la guerre, c’est un fait extrêmement intéressant
que les scénaristes auraient eu intérêt à
exploiter. Mais qui sommes-nous pour en juger ainsi? Bref, le film de
gangster est de retour cette année et en voila un à ne
pas manquer. Le jeune étudiant plein de temps libre que je suis
suggère aussi le dernier David Cronenberg, Eastern Promises,
une relecture du genre. Je retourne à mon porridge.
Version française :
Gangster américain
Scénario :
Steven Zaillian
Distribution :
Denzel Washington, Russell Crowe, Chiwetel Ejiofor,
Josh Brolin
Durée :
157 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
19 Novembre 2007