À L'OUEST DE PLUTON (2008)
Henry Bernadet
Myriam Verreault
Par Louis Filiatrault
Dans un monde imaginaire où l'adolescence n'aurait jamais été
représentée sous quelque forme que ce soit, quels traits
associerait-on immédiatement à ce phénomène
typiquement contemporain? L'idée d'un groupe indifférent
au reste du monde, entretenant des codes et des rites éphémères,
pourrait en être un échantillon ; ceux d'une « société
en devenir » en seraient d'autres. Mais surtout, nous en retiendrions
le souvenir d'une longue phase que nous avons nous-mêmes traversée,
et à laquelle nous associons des sentiments forts et très
complexes. Autant dire que bien que les temps changent, le fond reste
le même, et c'est précisément cet intervalle où
se chevauchent la mémoire et l'actualité qu'investit À
l'ouest de Pluton, éblouissant premier film des jeunes Québécois
Henry Bernadet et Myriam Verreault. Produit avec les moyens du bord,
celui-ci réalise l'exploit de peindre avec acuïté
le portrait d'un groupe, d'un lieu et d'un temps spécifiques
(celui des adolescents québécois de race blanche d'une
banlieue de Québec en 2008), tout en allouant une marge considérable
à la projection personnelle et à l'extrapolation. C'est
aussi un film qui, malgré une parenté certaine avec une
forme de cinéma-vérité, a le courage de suivre
sa propre direction esthétique, ajustée en fonction de
son sujet et non de référents préalables. En somme,
nous avons affaire à une oeuvre dont le regard et le contenu
sont ancrés dans un réel tangible et partagé ;
un film sans mode d'emploi.
C'est sur un vertige simple et chaleureux que s'ouvre À l'ouest
de Pluton : présenté de front et sans enrobage, le
dispositif familier de l'exposé oral met de l'avant une série
de visages, de voix et de mots donnés comme tels, sans souci
narratif particulier. Qui sont ces jeunes s'exprimant librement sur
des sujets banals? Pourquoi diable a-t-on jugé bon de nous les
introduire ainsi? La fascination est immédiate, et le renouvellement
constant de ces questions est susceptible de tenir le spectateur en
haleine pour la durée du film. En effet, à l'exception
de quelques passages plus nettement préparés, la très
longue mise en place de l'univers du film ne consiste en rien d'autre
qu'une enfilade de vignettes d'une vérité transcendante:
qu'il s'agisse d'un échange sur la question nationale s'achevant
sur un constat d'indifférence, des échappées philosophiques
tout aussi peu concluantes d'une bande de drogués ou de la pratique
délicieusement gauche d'un duo de musiciens amateurs, les morceaux
élaborés par les cinéastes respirent le naturel,
et parviennent surtout à évoquer le ton et l'esprit authentiques
d'une journée entre adolescents. Elles sont aussi l'occasion
d'exercer un registre tonal assez large ; si l'humour émerge
des discussions de manière spontanée (et souvent contagieuse),
certaines séquences plus sérieuses, voire dures sur le
plan psychologique, se glissent dans l'ensemble avec un égal
doigté, épaississant le profil des personnages concernés.
Au final, s'il affiche régulièrement une nonchalance accordée
à celle de ses jeunes protagonistes, À l'ouest de
Pluton témoigne surtout d'une véritable maîtrise
de la direction d'acteurs non professionnels, et d'une constance naturaliste
s'adaptant aisément à toutes les situations.
S'il emploie certainement des ressources proches de la vidéo
amateure, le film n'en hérite heureusement pas l'instabilité
chronique, la lumière insuffisante et la propension aux cadrages
approximatifs. Sans non plus verser dans une stylisation à outrance,
la réalisation d'À l'ouest de Pluton démontre
en effet un souci plastique notable, attribuant une forme juste assez
travaillée à des sujets se devant de garder un aspect
terre-à-terre. C'est cependant au montage que les auteurs donnent
la pleine mesure de leur créativité: maniant des vignettes
brèves tel on parcourerait les chaînes sur un téléviseur,
ceux-ci prennent le soin d'individualiser leurs nombreux protagonistes
tout en faisant progresser leurs tribulations disparates dans une direction
commune. Des passages plus contemplatifs, composés principalement
d'images de rues désertes ou d'éléments volatiles,
laissent quant à eux respirer le film et instaurent un contrepoint
mélancolique étonnamment juste à l'insouciance
des jeunes interprètes, et ce malgré la fragilité
de certaines métaphores (à commencer par l'évocation
du statut précaire de la planète éponyme). Pour
sa part, la séquence de party servant de point de convergence
aux diverses pistes narratives s'avère tout à fait représentative
des forces de mise en scène à l'oeuvre: densément
peuplée, celle-ci agence de multiples énergies a priori
contradictoires en un tout remarquablement fluide et harmonieux. Ajoutées
au flux constant des dialogues, la gestion souple des bruitages de même
que les sélections musicales judicieuses (We Are Wolves, No Age,
Stars of the Lid...) donnent également au film des allures de
grande sculpture audiovisuelle, ce qui contribue largement à
son magnétisme élémentaire ainsi qu'à son
identité singulière. Car si tous ces constituants peuvent
sembler quelque peu anodins en surface, ce sont eux qui, au moins autant
que les apparences d'improvisation, distinguent en bout de ligne cette
production des épouvantables À vos marques, party!,
de la série Ramdam, et autres objets artificiels étiquettés
« jeunesse ». C'est aussi la cohérence et l'inventivité
du langage déployé qui font transcender au film le niveau
de l'oeuvre étudiante ordinaire, et le font triompher de ses
maladresses qui, si elle font grincer des dents à l'occasion,
témoignent à tout le moins d'une véritable volonté
de cinéma, et surtout d'un engagement réel envers son
petit monde.
Certes, on pourrait reprocher au film de perdre un peu de son éclat
rythmé en abordant ses phases plus tardives. On soulignera par
ailleurs que le personnage du grand frère violent, par sa fonction
incertaine dans le propos d'ensemble, s'avère l'un des maillons
les plus faibles du film, et ce, malgré la qualité de
son interprétation. Ceci étant dit, le penchant plus sombre
et engourdi d'À l'ouest de Pluton fait partie intégrante
de la forme d'errance que ses auteurs ont voulu évoquer ; s'enfonçant
au creux de la nuit, le film ouvre une série de pénétrants
abîmes d'angoisse et d'incertitude que l'aube ne suffira pas nécessairement
à refermer. Ceux-ci se déclinent en plusieurs niveaux
d'intensité: à l'extrême plus vague se situent les
fabulations éméchées des ados bien écrasés
à l'aréna, tandis qu'à l'autre se trouvent la remise
en perspective de l'hôte bafouée de la fête centrale
ainsi que la détresse d'un romantique inexpérimenté
(celle-ci donnant lieu à quelques scènes particulièrement
saisissantes). La rencontre impromptue entre l'un des jeunes, blessé
au cours de la nuit, et le beau-père d'un autre, est également
le théâtre d'un contact générationnel subtil,
développé en demi-mots discrets, mais néanmoins
très éloquents. Aussi épars soient-ils, ces éléments
composent ensemble une matière véhiculant par la force
des choses la mentalité de ces êtres au bagage émotionnel
encore incomplet. Celle-ci est d'autant plus admirable qu'elle se distingue
de celles proposées par les Kids, Paranoid Park,
et autres excellents films auxquels on a pu comparer l'approche de Verreault
et Bernadet: aucunement encombré par un formalisme quelque peu
exigeant, absorbant malgré l'absence de manoeuvres provocatrices,
À l'ouest de Pluton est simplement une oeuvre conçue
dans l'équilibre à l'intention d'un public sensible à
ses enjeux particuliers. Ses auteurs, en plus de réitérer
à merveille les vertus du projet naturaliste au cinéma,
ont donné au Québec un film mémorable et sans pareil,
et peuvent s'assurer de notre enthousiasme soutenu envers leurs entreprises
futures.
Version française : -
Scénario :
Henry Bernadet, Myriam Verreault
Distribution :
David Bouchard, Alexis Drolet, Thomas Gionet-Lavigne,
Sandra Jacques
Durée :
90 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
15 Septembre 2009