ALL THE BOYS LOVE MANDY LANE (2006)
Jonathan Levine
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le bon vieux slasher serait-il en plein coeur d'une crise existentielle?
Chaque année laisse dans son sillage son lot de petites productions
indépendantes prétendant réinventer - ou du moins
décortiquer - les codes du genre essoufflé. Il y a deux
ans, Behind the Mask de Scott Glosserman approchait la problématique
selon un angle novateur et astucieux, à mi-chemin entre la parodie
et l'analyse critique; le spectateur y était convié à
suivre le cheminement d'un apprenti tueur en série, qui présentait
les règles de sa profession tout en les appliquant avec conviction.
Distribué l'année suivante, Hatchet servait des
portions doubles des deux ingrédients qui ont fait la renommée
du slasher américain: le sexe et le sang. Le film d'Adam Green
ne visait en bout de ligne qu'à sustenter jusqu'à l'écoeurement
son public, mais le faisait avec un tel goût pour l'excès
qu'il exigeait d'être appréhendé à la manière
d'une comédie outrancière sur l'attrait populaire de cette
formule. L'entrée de cette année dans la catégorie
du « méta-slasher » serait selon plusieurs observateurs
chevronnés cet All the Boys Love Mandy Lane, tourné
en 2006, qui affirme contourner les conventions établies par
Halloween de John Carpenter et Prom Night de Paul
Lynch à des fins satiriques, voire subversives.
Belle, intelligente, incorruptible, Mandy Lane (Amber Heard) est parfaite.
Tous les garçons la désirent et les autres filles de l'école
l'envient, mais l'humble Mandy ne laisse pas cette popularité
lui monter à la tête. Elle refuse les cliques et repousse
chastement les avances qui se multiplient, surplombant les hypocrites
petits jeux du secondaire avec une grâce quasi angélique.
L'amateur avisé vous dira qu'elle est l'incarnation même
de la vierge au coeur pur, destinée à pourfendre le cruel
tueur qui ne saurait tarder à faire irruption dans le portrait.
Mandy accepte une invitation à une soirée organisée
par Dylan, le sportif de service. Seins, drogues, alcool: l'atmosphère
de la petite fête appelle au traditionnel massacre à saveur
de purification morale. Mais le drame se déroule autrement. Obnubilé
par les charmes de Mandy et assez ivre pour commettre des bêtises,
notre enthousiaste soupirant décide de plonger dans une piscine
du haut d'un toit afin d'épater la belle. Il saute. La caméra
flotte dans les airs puis un temps passe, laissant entendre que le pire
va se produire. Dylan atteint l'eau, qui peu à un peu change
de couleur; la caméra révèle par un lent mouvement
vers le bas son corps inerte, autour duquel se ruent les adolescents.
Suite à une introduction marquée par sa facture visuelle
léchée, le plan impressionne par son éloquence
narrative. Peut-être auront-nous droit à un bon moment
de cinéma...
Neuf mois passent. Une autre année scolaire se termine et Red
(Aaron Himelstein) organise pour célébrer l'occasion une
escapade en campagne, invitant notamment l'insaisissable Mandy. Le petit
groupe, bien installé dans le ranch isolé des parents
de Red, se met à boire et à discuter - et à boire,
encore et encore. Bientôt, tout le monde est assez éméché
et c'est la soif de sexe qui prend le relais. C'est à ce moment,
bien évidemment, que les convives se mettent à disparaître
les uns après les autres. Or, après une mise en situation
plutôt surprenante, c'est aussi à ce moment fatidique que
la mécanique embarque et que la machine déraille. C'est
lorsque vient le temps de livrer la marchandise qu'All the Boys
Love Mandy Lane déçoit les attentes, tout le segment
« slasher » du film manquant franchement de nerf. Depuis
la sortie de Scream, en 1996, bien des réalisateurs
croient pouvoir transcender le genre en formulant un discours sur celui-ci;
ils oublient que Wes Craven, non content d'exploiter les codes du slasher
pour mieux s'en jouer au cours d'un dernier acte inspiré, travaillait
d'arrache-pied à élaborer d'inventives séquences
de suspense. Dans Mandy Lane, les meurtres et les poursuites
sont orchestrés solidement mais sans imagination - du bon travail
de bras sans fantaisie. Aucune complexité à la mise en
scène: le tueur tue, les victimes meurent. Suivant. Les acrobaties
et les dérobades sont l'apanage d'un scénario qui, pour
sa part, multiplie les pirouettes gratuites en fin de parcours.
Certes, le déroulement comporte son lot de surprises qui amuseront
les habitués: l'identité de l'assassin nous est révélée
assez rapidement, le soleil se lève alors que l'on dénombre
plusieurs survivants... Le problème, c'est qu'All the Boys
Love Mandy Lane n'aboutit à aucune thèse saisissable
malgré quelques pistes prometteuses. Au contraire, le dénouement
contredit les meilleures idées du film. Car si pour un instant
Jonathan Levine donne l'impression qu'il cherche à éviter
les écueils du whodunnit alambiqué, un revirement
final prévisible mais inopportun vient ruiner la psychologie
jusqu'alors somme toute crédible des personnages. Après
maintes feintes, le tout se termine ainsi par une banale boucherie sans
queue ni tête où les derniers humains s'entre-tuent tandis
que le scénario s'auto-dévore. Derrière ses apparences
tordues, cette finale nihiliste réduit toute la progression dramatique
du film à n'être que l'élaboration d'une blague
dont ce volte-face théâtral serait la pointe. Il est tout
simplement dommage que celle-ci ne soit pas particulièrement
drôle ou adroite, estropiant un slasher ambitieux qui en voulant
déjouer les conventions les rejoint; il y a « surprise
» au détriment de l'originalité, et All the
Boys Love Mandy Lane, en voulant tromper les codes du genre, contrevient
malheureusement à sa logique interne. Pour chaque règle
contournée, le film de Jonathan Levine en suit trois autres à
la lettre.
Version française : -
Scénario :
Jacob Forman
Distribution :
Amber Heard, Anson Mount, Whitney Able, Michael
Welch
Durée :
88 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
28 Juillet 2008